Dans la restauration collective, la sinistralité est préoccupante. Les risques sont majoritairement liés aux manutentions manuelles, aux chutes (plain-pied, dénivelés) et aux blessures avec outils. Face à ce constat, la Carsat Sud-Est a établi un Plan d’Action Régional sur la période 2014-2017. Présentation et illustration du projet et des bonnes pratiques dans deux cuisines centrales.

Très hétérogène, le secteur de la restauration collective compte 6 400 salariés en PACA-Corse, répartis dans plus de 800 établissements.

Un secteur hétérogène - Pourquoi ?

  • Par la taille des structures : le secteur se compose majoritairement de petites cuisines (0 à 5 salariés présents dans plus de 470 établissements), de cuisines moyennes (près de 270 sites accueillant jusqu'à 15 salariés) et d’une soixantaine de cuisines centrales (15 à 50 salariés) pouvant produire jusqu'à 20 000 repas par jour.
  • Par le type de prestations assurées : trois périmètres distincts font appel à la restauration collective : Santé, Enseignement et Entreprise. Les prestations assurées vont des cantines scolaires aux plateaux-repas, pour les maisons de retraite et/ou hôpitaux, en passant par les selfs d’entreprises et les cafétérias.
  • Par la typologie des gestionnaires de cuisines : bien que quelques enseignes soient spécifiquement régionales (GARIG, ACSENT, PROVENCE PLAT…), la gestion des établissements est souvent portée par de grands groupes nationaux voire internationaux (SODEXO, ELIOR, R2C …). Dans ces organisations, nombreux sont les intermédiaires opérationnels, du gérant de l’établissement à la direction nationale, en passant par les directions régionales et les responsables de secteur. Organisés Grand Sud, par périmètre et par enseigne, les CHSCT sont très actifs dans ces organisations complexes : ils concernent plus de 500 établissements chacun.
  • Par la nature et la durée des marchés : « Dans la majorité des cas, les contrats sont signés pour 3 ou 5 ans et les cuisines et matériels n’appartiennent pas à l’entreprise intervenante. Même si dans tous les cas, la Santé et la Sécurité des salariés incombent toujours à l’employeur, lorsque les locaux sont vétustes, et/ou le matériel mis à disposition inadapté, la prise en charge effective revient aux propriétaires ou aux donneurs d’ordres ! (Collectivité, administration ou entreprise privée) », observe Virginie Serrière, contrôleur de sécurité à la Carsat Sud-Est.

« Les interactions entre ces différents acteurs sont complexes », puisque par exemple :

  • L’Entreprise Utilisatrice a pour responsabilité de mettre à disposition et d’entretenir des locaux conformes et adaptés à l’activité, d’initier la mise en œuvre des Plans de Prévention…
  • Tandis que l’Entreprise Intervenante se doit, à son tour, d’assurer l’utilisation adéquate et sécurisée des outils et du matériel, d’initier et de garantir la mise en œuvre de la sécurité auprès de ses propres intervenants extérieurs (chauffeurs livreurs et Protocole de Sécurité par exemple).

Chiffres clés de la sinistralité en région Paca

176 accidents de travail avec arrêt dans en 2013. Indice de fréquence : 73 (65 au niveau national). Indice de gravité : 21 (19 au niveau national). Sur 23 maladies professionnelles reconnues en 2012, toutes concernaient des troubles musculo-squelettiques (tableau 57 des MP).

Le Plan d’Actions Régional 2014-2017

n12 dossier photo2Face à toutes ces variables, seule une stratégie globale de prévention peut permettre une amélioration en profondeur de la Sécurité et Santé au travail et se matérialiser par des aménagements adaptés aux postes de travail des salariés.

A partir de l’analyse de la sinistralité et pour assurer la lisibilité de l’action, le Plan d’Action Régional Restauration Collective mis en place par la Carsat Sud-Est a choisi de cibler en priorité les risques liés aux manutentions manuelles et aux circulations (plain-pied et dénivelés) (copyright photo : Agrobat). Pour répondre à l’hétérogénéité observée, appréhender la réalité de terrain et adapter les messages à tous les interlocuteurs, 3 axes de travail ont été retenus :

1. Les actions directes sur les petits établissements.

60 cuisines ont été visitées par les préventeurs de la Carsat Sud-Est en 2014 et autant en 2015.

«Ces visites, basées sur l’observation des postes de travail, ont permis de repérer spécifiquement les risques liés aux manutentions manuelles et aux circulations, et ce, en suivant le flux de matières tel que pratiqué en HACCP (Hazard Analysis Critical Control Point) : réception des matières premières, zones de déchargement, décartonnage, stockage, déconditionnement, préparation froide, cuisson, allotissement, service, plonge, nettoyage, gestion des déchets… », indique Virginie Serrière, co-pilote du Plan d’Actions Régional.

Chaque visite se traduit par l’envoi d’un courrier qui préconise un certain nombre de mesures de prévention adaptées aux situations de travail dangereuses identifiées. « La mise en place de ces mesures fera l’objet d’un suivi régulier jusqu’en 2017. » En fonction des situations rencontrées, elles peuvent concerner d’autres problématiques (les risques de chute de hauteur sur les quais par exemple, les risques chimiques…) et intégrer des facteurs aggravants les expositions : ambiance thermique, ventilation, bruit, stress, cadence, etc.

2. Les actions collectives au niveau des enseignes.

En parallèle de ces visites d’établissements, la Carsat Sud-Est s’est rapprochée des différentes directions régionales d’enseignes, afin d’orienter et accompagner les démarches de prévention initiées au sein de ces structures : document unique d’évaluation des risques (DUER), plans de prévention, protocoles de sécurité…

« Dans les grandes enseignes, la majorité des DUER est élaborée au niveau national et pour le gérant, l’accès à ces documents se fait informatiquement. Leur contenu est très complet et structuré. Toutefois, restant assez généralistes, ils globalisent les situations de travail par activité. De ce fait, les risques spécifiques tels que les gestuelles répétitives sont bien souvent occultés. Notre objectif est d’obtenir des documents uniques spécifiques à chaque établissement et identifiant des mesures de prévention réellement adaptées aux situations de travail rencontrées.

Cette démarche nécessite la sensibilisation de toute la ligne hiérarchique à la Prévention des Risques Professionnels, et c’est un axe important du Plan d’Actions Régional. Dans ce cadre, nous assistons aux comités de direction, aux réunions de secteur et aux CHSCT Grand Sud. C’est l’occasion de présenter nos actions, nos exigences, d’étudier et partager ensemble sur les retours d’expériences, d’échanger sur de potentiels axes de travail communs…. »

3. Les projets de conception et de rénovation.

n12 dossier photo3Dès qu’elle est informée, la Carsat Sud-Est essaie d’intervenir le plus en amont d'un projet. C’est le cas pour la future Unité Centrale de Production à Brignoles (projet cible en photo – Copyright Sodexo), où le Groupe Sodexo a souhaité associer la Carsat Sud-Est à l’élaboration du cahier des charges du bâtiment. Une première pour l’Assurance Maladie des Risques Professionnels avec cette enseigne.

Le bâtiment couvrira une surface de 1 000 m2, produira 10 000 repas par jour et emploiera 30 salariés. Son ouverture est prévue à la rentrée 2016. Une réunion a eu lieu en présence du futur directeur du site, de l’architecte de la cellule Conception du groupe Sodexo et du Responsable national Santé, Sécurité au travail.

Jean-Christophe Sollari, contrôleur de sécurité à la Carsat Sud-Est, est intervenu sur le volet conception. Les solutions présentées ont porté sur les revêtements de sol, l’éclairage naturel, la ventilation, la sécurisation des opérations de transbordement sur les quais, l’accès aux toits, le bruit… « Dès lors que des équipements de travail bruyants sont prévus dans les locaux, le maître d’ouvrage a l'obligation de réduire la réverbération du bruit sur les parois. Nous leur avons donc proposé de se rapprocher du Centre Interrégional de Mesures Physiques (CIMP) de la Carsat Languedoc-Roussillon pour réaliser une étude d'acoustique prévisionnelle pour les locaux concernés ».

Un courrier de mesures de prévention leur a été adressé. « Toutes ces mesures concilient la santé au travail et l’hygiène alimentaire. Elles sont énoncées sur le site Agrobat développé par la Carsat Sud-Est en collaboration avec le Ministère chargé de l’Agriculture.» La démarche a été appréciée. Ces mesures pourraient être déclinées au niveau national. Le Groupe Sodexo construit en moyenne une cuisine centrale par an. Son ambition est de réduire la sinistralité de moitié dans ses établissements.

Une action en partenariat avec la Carsat Languedoc-Roussillon

Témoignage : Joëlle Pacchiarini, Ingénieur Conseil, Carsat LR

n12 dossier photo4« En 2013, la Carsat LR pointe l’activité dite « cantine » ou restauration collective comme étant en sur-sinistralité en LR par rapport au national. Les partenaires sociaux y trouvent un intérêt multiple car les restaurants collectifs sont imbriqués dans d’autres organisations, entreprises, mairies, lycées, maisons de retraite, hôpitaux, cliniques, établissement de soins, etc.

De plus, les cuisines centrales soulèvent les questions liées à la livraison des repas, au détachement de personnel… Le Plan d’Action Régional Restauration Collective est né.

Pendant la phase de découverte sur cette activité peu investie par les caisses, la Carsat Sud-Est se distingue par une réelle investigation : chutes, sols et circulation, manutentions manuelles et TMS, et la nécessaire mobilisation de la profession par le biais des enseignes…

En 2014, les équipes LR et SE se retrouvent en « zone frontalière » à l’antenne d’Avignon. Les échanges « terrain » sont riches et marquent le début d’une collaboration franche où chacun partage ses connaissances et questionnements. En effet, le secteur est complexe, les salariés souvent « satellisés », et les bons relais en santé et sécurité au travail difficiles à identifier dans des organigrammes où le découpage « région » est très spécifique à chaque enseigne.

En 2015, nos rencontres communes avec les enseignes régionales Grand Sud nous permettent d’affirmer ensemble un message en prévention identique face aux grands groupes : ELRES Santé et Enseignement, ELIOR Entreprise, SODEXO Santé et Entreprise, SODEXO Enseignement , COMPASS…

En 2016, se dessinent une formation spécifique à construire ensemble « Prévenir les risques liés à l’activité Physique dans la Restauration Collective » … et la réalisation d’un Document Unique adapté à chaque restaurant. »

 Une liste de petits matériels transférables

Chez Elior Restauration Enseignement et Santé (ELRES – 12 000 salariés et 550 établissements en France), « la problématique des TMS a été prise en compte cette année, poussée par la Cramif et le programme national TMS Pros », indique Eugénie Munoz, ingénieur Sécurité ELRES Sud. « Il y a de plus en plus de maladies professionnelles. Ce sujet devient prioritaire.

Dans 98% des sites, le matériel est prêté. Un groupe de travail sur la manutention manuelle et les charges lourdes a été créé au sein du CHSCT Sud. Nous souhaitons développer une liste de petits matériels référencés, d’abord dans le sud, en vue d’un déploiement au niveau national. Pour cela, nous avons intégré l’expertise de la Carsat Sud-Est : chariots à fond constant, matériel ergonomique et sensibilisation à la formation PRAP en interne (Prévention des risques liés à l'activité physique). Cette action sera lancée en 2016. »

Virginie Serrière confirme. « Les préventeurs de la Carsat Sud-Est ont identifié du petit matériel qui pourrait répondre aux problématiques de manutentions manuelles répétitives et d’ergonomie au poste de travail. Des fiches techniques de bonnes pratiques sont en cours de rédaction. Construites poste par poste, elles intégreront ces outils et différents matériels. Centrales d’achats, fournisseurs de matériels et retours des utilisateurs permettront d’enrichir et consolider ces documents. Autre avantage : ces matériels acquis par l’Entreprise Intervenante deviendront, de fait, sa propriété, et en cas de fin de contrat, pourront être transférés sur d’autres sites. »

n12 dossier photo5 2L’atelier culinaire ELRES à Marseille produit essentiellement pour les cantines scolaires (Bouches-du-Rhône / Var) et le portage de repas à domicile pour les personnes âgées. Récemment, il a fait l’acquisition d’une pompe de transfert automatique pour liquides chauds ou froid (en photo centrale).

Un système de dosage automatique en sortie de sauteuse sera également mis en place en novembre. Dans les cliniques et hôpitaux, l’enseigne a également mis en place une aide motorisée à la manutention de chariots lourds pour le transfert des repas, de la cuisine vers les différentes unités de ces établissements (photo ci-contre. Copyright ELRES).

Prise de conscience des enseignes : ELRES Sud

C’est la forte sinistralité qui a poussé ELRES à renforcer sa politique de sécurité et santé au travail à partir de 2010. Progressivement 3 ingénieurs de sécurité ont été nommés sur la France entière (Nord, Sud, Ile-de-France), assistés de plusieurs coordonnateurs sécurité en région. Eugénie Munoz a été nommée ingénieur de sécurité en 2014 pour le grand Sud (Paca, Languedoc-Roussillon, mix Aquitaine Rhône-Alpes Auvergne Bourgogne).

« Similaire à la fonction DRH, la sécurité a été dissociée de l’opérationnel. »

Les dangers imminents ont été traités en priorité : « coupures, brûlures, chutes de plain-pied, risque électrique, risque chimique. En cas de droit d’alerte, droit de retrait ou signalement d’une situation à risques, nous rencontrons le client afin de lui rappeler les obligations en termes de santé, de sécurité et d’hygiène alimentaire. 90% des clients acceptent nos préconisations. Ce travail est mené en commun avec le CHSCT. »

  • La démarche de sécurité se globalise : conformité réglementaire sur tous les sites (DUER, plan de prévention, protocole de sécurité), pilotage du traitement des AT en lien avec le CHCST (enquêtes basées sur l’arbre des causes, plan d’actions, ré-accueil, suivi), animation sur le terrain (quarts d’heure sécurité, retours d’expérience, échanges de bonnes pratiques), audits sécurité, plan d’actions et suivi. « Pour chaque ouverture de site, le coordonnateur sécurité élabore un Document Unique et un plan de prévention qui sont signés par le directeur régional et le client, précise Lydie Berthelomot, coordonnateur Sécurité ELRES Sud. Avec les chauffeurs livreurs, des protocoles de sécurité sont mis en place : diagnostics et propositions d’amélioration. On se substitue au client. » Sur les projets de conception, les quais sont mis en conformité. « C’est plus difficile sur la rénovation. » Quant aux petits sites, « le risque est identifié dans le DU et limité à travers des préconisations, une signalétique visuelle... »
  • Un déploiement à tous les niveaux. Eugénie Munoz intervient en réunions de direction régionale et sectorielles. Elle a formé à l’audit de sécurité les responsables de secteurs, les directeurs régionaux et les directeurs opérationnels. Cette année, les agents commerciaux chargés de répondre aux appels d’offres ont reçu une formation à la sécurité. « Les risques sont pris en compte en amont, dès l’audit de contrat, à l’aide d’une grille d’évaluation. L’absence de revêtement de sol adapté ou une sauteuse sans grille d’évacuation vont générer des demandes d’investissements. » Vis-à-vis du client, « cette expertise supplémentaire constitue une valeur ajoutée. » Le pilotage de la sécurité va encore évoluer. « Il y a un projet de refonte d’un DUER national, toujours en lien avec le CHSCT. Et tous les sites disposeront d’un tableau de bord pour chaque risque spécifique. »

Christophe Laloup, secrétaire du CHSCT ELRES Sud : « Les services de sécurité présents en région travaillent en commun avec le CHSCT. La prévention évolue dans le bon sens. Les outils sont en place, mais il y a encore un décalage avec la réalité du terrain. On aimerait aller plus vite. »

Témoignage : une approche managériale basée sur l’implication des salariés

Xavier Lucien-Reinette est directeur régional enseignement chez ELRES à Marseille depuis 2012. « Nous sommes partis d’une page blanche avec des équipes qui n’étaient pas sensibilisées. La région PACA est fortement accidentogène. 1 salarié sur 10 a un accident de travail. J’ai commencé par créer un poste de coordonnateur sécurité et une première phase de sensibilisation a été menée auprès des responsables de secteur et des cuisines centrales, en particulier sur l’accidentologie et son impact financier. Cette prise de conscience s’est accompagnée par la mise en place de Documents Uniques et de plans de prévention. Ils n’existaient pas. Dans les cuisines centrales, les plus accidentogènes, un « quart d’heure sécurité » mensuel a été lancé.

Pour challenger les responsables de site, cet objectif qualitatif a été intégré dans la part variable de leur évaluation. Le premier « Trophée Sécurité » a été décerné cette année à la cuisine centrale ELRES de Marignane. Il est basé sur le DUER, le plan de prévention, le quart d’heure Sécurité, la baisse des taux de fréquence et de gravité, le ré-accueil après un accident du travail. Un courrier de sensibilisation a également été affiché dans tous les sites. Nouveauté en 2015 : 5 sites à forte sinistralité ont été identifiés : les causes des accidents du travail sont liées à l’espace, l’aménagement et une population vieillissante. Le coordonnateur sécurité a mis en place un plan d’actions sur l’infrastructure et la formation des salariés. »

En savoir plus :