Exercer une activité de chauffeur livreur quand on est sourd, c’est possible. La cuisine centrale de la Ville d’Aix-en-Provence a mis en œuvre une démarche d’intégration professionnelle exemplaire où priment l’esprit collectif et l’accompagnement. C’est aussi une plus-value pour les salariés « entendants » et une analyse plus pointue des situations de travail dangereuses.

Créée en 2006, la cuisine centrale de la Ville d’Aix-en-Provence assure une production moyenne de 7 400 repas par jour en liaison froide destinés aux écoles de la Ville (48 sites) et à 11 Accueils de loisirs sans hébergement (ALSH). Elle emploie 54 agents répartis dans les pôles Logistique, Production et Administration.

Peintre vitrier au service technique des bâtiments communaux, Didier Reynaud fait une demande de mobilité interne en 2013, auprès de la Direction des ressources humaines de la Ville d’Aix-en-Provence. Dans le cadre de sa démarche globale de maintien dans l’emploi des personnes handicapées, et en partenariat avec le FIPHFP (Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique), son dossier est accepté à la cuisine centrale de la Ville. En avril 2013, il est affecté au sein de l’équipe des chauffeurs livreurs en charge des livraisons des repas dans les cuisines satellites.

Un engagement collectif

n19 repotage photo 1Didier Reynaud ne communique qu’en langue des signes, une technique que Pierre Innocenti  (à g. sur la photo), chef d’équipe de la Maintenance et Assistant prévention, maîtrise depuis 16 ans... Un atout pour accueillir dès son arrivée le nouvel embauché. « M. Reynaud a suivi le stage d’accueil sécurité et nous lui avons présenté l’environnement de la cuisine centrale. Une réunion générale a été organisée par la Direction avec l’ensemble du personnel pour présenter son arrivée. Ensuite, il a été pris en charge par Joël Laurent, responsable des chauffeurs livreurs, pour tout l’aspect livraison : l’allotissement, la préparation des tournées, le respect de la chaîne du froid, etc. ».

Philippe Oger, chef du service Logistique, se souvient. « La première étape a été de faire accepter Didier au sein de l’équipe. » Deux co-équipiers tournent par véhicule frigorifique. Ils allotissent eux-mêmes leur propre tournée. « Le personnel de chauffeurs avait des craintes au niveau de la circulation routière, des livraisons, du hayon élévateur sur le quai de chargement…. » Cette appréhension s’est dissipée assez rapidement par une série de mesures destinées à favoriser le relationnel au sein de l’équipe.

PAROLE DU PROFESSIONNEL : « La formation au langage des signes est une phase essentielle d’acceptation. Le lien ne peut réellement se faire que si vous savez communiquer avec l’agent sourd. » Pierre Innocenti, chef d’équipe Maintenance, assistant de prévention, Cuisine centrale Aix-en-Provence

La dynamique d’accompagnement

n19 repotage photo 2Une interprète en langue des signes de l'organisme URAPEDA (Union régionale des associations de parents d'enfants déficients auditifs) est présente lors de toutes les réunions de l’équipe des chauffeurs et pour toutes les formations auxquelles participe Didier Reynaud. La prise en charge par l’URAPEDA a été immédiate.

En cas d’absence de l’interprète, Pierre Innocenti prend le relais. Il intervient également pour son entretien annuel d’évaluation.

La formation en langue des signes : à la fin 2013, l’ensemble du personnel (les 11 chauffeurs livreurs, puis les 3 personnes en charge de l’allotissement) ainsi que Didier Reynaud lui-même, ont suivi une formation initiale animée par l’organisme CLS (Cours de Langue des Signes à Marseille), complétée par un module de perfectionnement en 2014. « Non seulement on apprend la langue des signes, mais également comment se comporter avec un agent sourd. »

Un « mini-dictionnaire » présentant les mots usuels a été remis aux assistants de restauration scolaire dans l’ensemble des cuisines satellites des écoles. Ce document permet de favoriser l’échange et la communication lors de chaque livraison.

Les adaptations techniques

Progressivement, les équipements ont été améliorés, au profit de tous.

1. Risque routier

n19 repotage photo 4Une caméra de recul a été installée sur le véhicule utilisé par l’agent. Sur la photo, Didier est au volant de son camion, un œil sur son écran de recul. « La caméra de recul permet de mieux anticiper les déplacements », confirme Didier Reynaud.

« Cette mesure a par la suite été généralisée à tous les véhicules afin d'améliorer la sécurité de tous les utilisateurs », observe Philippe Oger. En particulier sur le quai où l’on charge les camions en denrées alimentaires et non alimentaires pour livrer vers les écoles satellites.

La caméra de recul et le marquage au sol améliorent le positionnement du camion lors de sa mise à quai. Les risques d’écrasement et de chute de personnes du quai ont été sécurisés par un la mise en place d’un quai niveleur télescopique disposant de garde-corps en périphérie et d’un accès direct du chauffeur jusque dans la zone de chargement.

2. Risque d’incendie

n19 repotage photo 5Un récepteur d’alarme personnel a été confié à Didier Reynaud. Cette montre-bracelet (en photo) est  reliée à la centrale d’alarme incendie et vibre lors du déclenchement du dispositif. « Ce système fonctionne parfaitement. Je l’ai testé lors des exercices de simulation incendie », indique Didier Reynaud. La montre est rechargée tous les jours au PC Sécurité.

Le dispositif de sécurité incendie de la cuisine centrale a également été complété par des avertisseurs visuels, des flashs qui s’allument en même temps que la sirène. « Dans la salle d’allotissement, une chambre froide pratiquement insonorisée, le message vocal qui accompagne la sirène d’incendie ne s’entend pas de l’intérieur. Le gyrophare rouge a renforcé la sécurité incendie pour toute l’équipe. »

Parole du professionnel : « La rénovation du système d’alarme incendie a été d’un grand bénéfice pour tout le personnel entendant. » Philippe Oger, chef du service Logistique

Une plus-value pour tous

n19 repotage photo 7Didier Reynaud est autonome sur toutes ses missions, y compris pour les tournées de pain ou les dépannages, où les chauffeurs interviennent seuls. « Au bout d’un mois, j’étais opérationnel, affirme-t-il. J’ai reçu toutes les explications nécessaires à ma prise de poste. » En cas de panne, il communique par texto. L’envoi de photos sur son smartphone peut éventuellement l’aider à mieux se repérer.

Contrairement aux idées reçues, « c’est nous qui devons nous adapter à son handicap » fait remarquer Pierre Innocenti. Une démarche qui s’avère profitable à toute l’équipe. La généralisation des caméras de recul, la mise en place d’avertisseurs visuels… Au quotidien, Didier apporte à ses collègues de travail une « compétence visuelle supérieure ». « Son acuité visuelle est plus développée que chez les entendants, affirme M. Innocenti. Vision à droite, à gauche, dans le rétroviseur… le contrôle du véhicule est naturel chez lui. Il repère tout de suite une fuite d’huile ou un pneu dégonflé. Il ressent les vibrations. Il voit tout. »

Virginie Serrière, contrôleur de sécurité à la Carsat Sud-Est, estime que « dans les missions recherchées et propres aux différents acteurs institutionnels de la désinsertion professionnelle et du maintien dans l’emploi, cet exemple permet de mettre en évidence plusieurs aspects :

  • Le travail pluridisciplinaire et complémentaire des partenaires du terrain, permettant d’aboutir, à partir d’une démarche individuelle, à une approche collective basée sur le respect des personnes et sur la sécurisation des situations de travail dans leur ensemble ;
  • La communication, sous tous ses aspects, recentrée au cœur d’un projet d’entreprise ;
  • Les responsabilités individuelles des intervenants mises au profit d’une organisation collective réussie ;
  • La prévention des risques professionnels pour l’ensemble des équipes. »

Un cadre de prévention favorable

n19 repotage photo 8La réussite de cette intégration repose sur un engagement fort de la Direction de la cuisine centrale, du collectif de travail ainsi que des services ressources humaines de la Ville d’Aix-en-Provence.

Laurent Faure, chef du service Prévention et Sécurité au Travail à la Ville, insiste sur la « maturité » de cette structure vis-à-vis des risques professionnels. Ceux-ci ont fait l’objet d’une évaluation formalisée dans le DUER à partir de 2008. « Le Document Unique est suivi, des préconisations en découlent. Le processus hygiène alimentaire est très normé. »

La Direction de la cuisine centrale et le service Prévention et Sécurité au travail collaborent étroitement sur l’ensemble des thématiques en lien avec la prévention des risques professionnels. Le Centre départemental de gestion de la fonction publique territoriale des Bouches-du-Rhône (CDG13) assure la fonction d’inspection en hygiène et sécurité sur cette structure.

« Au-delà de la stricte application de la réglementation en matière de santé et sécurité au travail, la Direction de la cuisine centrale maintient une démarche d’amélioration continue des conditions de travail, qui se traduit notamment par l’acquisition d’équipements modernes. »

« Les préventeurs de la Carsat Sud-Est sont intervenus à plusieurs reprises auprès des différentes unités techniques de la Ville d’Aix (Laboratoire d’archéologie, menuiserie, chaudronnerie, BTP…), le plus souvent à leur demande. Dans chacune de ces interventions, M. Faure reste un interlocuteur privilégié à l’écoute des préoccupations des salariés et de leurs conditions de travail. L’implication des responsables de la Ville d’Aix et la politique menée au sein du Service Prévention et Sécurité au Travail contribuent à la réussite des actions engagées avec la Carsat. » Virginie Serrière, contrôleur de sécurité, Carsat Sud-Est

Le dispositif d’aide aux travailleurs handicapés

n19 repotage photo 9La cuisine centrale d’Aix a reçu le soutien financier du FIPHFP pour la prise en charge par l’URAPEDA et celui du CHSCT de la Ville d’Aix-en-Provence pour la rénovation du système d’alarme incendie.

Il faut savoir que le FIPHFP peut financer au cas par cas des aides techniques et humaines qui permettent aux employeurs publics de favoriser l’insertion professionnelle et le maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap.

En complément des aides publiques, l’AGEFIPH (Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées) verse des aides et prestations notamment destinées à compenser le handicap dans l'emploi (handicaps visuels, auditifs, mobilité, prestations ponctuelles spécifiques).

Le médecin du travail est un acteur pivot pour solliciter le SAMETH (Service d'appui au maintien dans l'emploi des personnes handicapées) qui accompagne les entreprises du secteur privé et les établissements du secteur public au niveau départemental.

Chiffres clés en Paca

  • Secteur privé en 2011 : 6 494 établissements assujettis à la DOETH (Déclaration obligatoire d’emploi de travailleurs handicapés), 21 610 travailleurs handicapés employés, taux d’emploi en équivalent temps plein : 2,9%. (source : AGEFIPH
  • Fonction publique en 2014 : le taux d’emploi a dépassé l’obligation légale de 6%, soit 12 518 Bénéficiaires de l’Obligation d’Emploi. (source : FIPHFP)

En savoir plus :

Handicap et travail. Colloque de l'Institut national de médecine agricole (INMA). Tours, 31 janvier 2014. INRS

FIPHFP (Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique)

AGEFIPH (Association nationale de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des travailleurs handicapés)

SAMETH