Très exposé aux accidents de la route, le personnel autoroutier doit également se prémunir contre les troubles musculo-squelettiques (TMS) et la pénibilité au travail. L’entreprise MATI Industrie & Technologies a inventé un dispositif innovant pour sécuriser les opérations de balisage, une activité très accidentogène. Il suffisait d’y penser !
Avant de commencer un chantier temporaire sur autoroute ou dans une situation d’urgence, les patrouilleurs autoroutiers ont l’obligation de baliser la zone pour dévier les flux de circulation sur voies restreintes. Cette opération délicate débute à pied par la pose manuelle de cônes de signalisation en biseau sur une distance de 150 mètres. C’est le pré-séquençage.
Ensuite, l’agent s’installe à l’arrière d’un véhicule d’intervention et là, à une vitesse maximale de 15 km/h, il doit poser des cônes en se penchant par la portière latérale, sur une distance pouvant atteindre 6 kilomètres, soit poser 160 cônes. Lorsque le chantier est fini, il récupère les cônes en marche arrière.
Pose/dépose : un métier à hauts risques
- Le risque routier. L’association professionnelle des sociétés d’autoroutes (ASFA) dénombre chaque année la mort d’un agent d’autoroute. En cause : les débords des véhicules usagers sur la bande d’arrêt d’urgence (BAU), en particulier les poids lourds : « On ne compte pas le nombre de rétroviseurs arrachés par un camion ! » ont coutume de dire les patrouilleurs. Si un camion arrive, il faut sauter par la portière côté BAU. C’est le seul mode opératoire connu.
- Les risques de TMS : Les postures sont contraignantes (d’une main, l’agent s’agrippe à une poignée et se penche à l’extérieur du fourgon en s’accroupissant avec un cône dans l’autre main) ; les gestes sont répétitifs (4 cônes posés par minute) ; la préhension est inadaptée à la main de l’homme (d’un poids de 4,2 kg, un cône est difficilement maniable). Lors de la dépose en marche arrière, le choc est démultiplié, la main venant frapper chaque cône pour le ramasser. Agé en moyenne de 45 à 50 ans, un patrouilleur peut avoir subi plusieurs opérations du canal carpien.
- La pénibilité : tout en effectuant son travail de pose, l’agent doit surveiller la route et comptabiliser le nombre de bandes (1 cône tous les 13, 26 ou 39 mètres selon les cas). Fatigue mentale, stress, sont accentués par la pollution des gaz d’échappement, le bruit et les intempéries (vent, pluie, neige), les projections d’eau et particulaires pouvant générer des risques de glissade, de chute, surtout la nuit. À la longue, toutes ces nuisances peuvent être à l’origine des risques psychosociaux.
Agents autoroutiers : 22 accidents mortels depuis 2002
En 2014, l’ASFA dénombre : 9000 km d’autoroutes françaises, 5400 agents autoroutiers, 410 000 opérations de balisage temporaire.
1 accident sur 2 lors d’un balisage de chantier temporaire,
1 accident sur 3 a lieu sur la BAU,
51 véhicules d'intervention heurtés,
19 blessés, dont 5 hospitalisés,
1 tué.
Éviter à l’agent de se pencher au-dehors
Spécialisé dans les solutions électrotechnique et automatisme, Félix Julien, dirigeant de MATI Industrie & Technologies, n’en est pas à son coup d’essai. Il a été primé au concours de l’innovation Batimat 2011 pour le prototypage d’un étai de maçon électrique. En 2012, il a l’idée d’équiper les véhicules d’intervention autoroutiers d’un dispositif de transfert de cônes automatisé. Convaincu de son utilité, il dépose un brevet à l’INPI en 2013.
Aujourd’hui validé, « ce brevet garantit l’originalité et la qualité de l’invention ». En 2014, il fabrique un prototype : le Mark1, qu’il présente en novembre à la société d’autoroute ASF à Vedène (84). Celle-ci accepte de le tester en situation réelle durant les 6 premiers mois de l’année 2015. Les deux « référents patrouilleurs » émettront un avis très positif. « Le besoin était là. Ce nouvel outil a emporté l’adhésion du personnel. » Installé dans leur fourgon, le dispositif suscitera également l’intérêt du CHSCT et d’autres filiales du groupe Vinci Autoroutes (Escota, Cofiroute).
Parallèlement va débuter une campagne de communication auprès de l’ASFA. Ce produit intéresse les sociétés d’autoroutes, mais aussi les sociétés prestataires qui effectuent leur propre balisage, ainsi que les gestionnaires de voirie ou les entreprises spécialisées pour l’entretien des voies rapides urbaines.
La manutention manuelle réduite à l’essentiel
Adaptable à tout type de véhicule utilitaire, ce dispositif est installé en 1 heure (4 points d’ancrage, 1 connecteur). Il utilise toutes les catégories de cônes (taille ou poids) et il est autonome en énergie.
En 1 minute, l’agent paramètre sa mission sur écran tactile (pose ou dépose, espacement entre les cônes, à droite, à gauche ou les deux côtés en décalé). Le fourgon démarre et il suffit à l’agent de positionner les cônes un par un sur un plateau placé devant la machine. Le bras mécanique vient saisir chaque cône entre deux pinces puis va le poser sur la route par la portière latérale du véhicule.
Inversement lors de la dépose en marche arrière, le bras mécanique va saisir automatiquement les cônes sur la route et les ramène à l’intérieur du véhicule sur le plateau. L’agent se saisit des cônes pour les empiler.
Côté cabine, le conducteur a une vue à la fois sur l’habitacle et sur le cône, ce qui l’aide à se positionner et à maîtriser l’empiètement.
PAROLE DU PROFESSIONNEL « Le MarkWay améliore la sécurité et la productivité des agents d’exploitation sans détruire l’emploi. » Félix Julien, dirigeant de MATI Industries & Technologies
Les atouts du MarkWay
- Le temps d’exposition au trafic routier est divisé par deux. En roulant à 30 km/h (au lieu de 15 km/h), le temps de balisage est réduit de moitié. C’est deux fois moins de risques pour les agents autoroutiers comme pour les usagers.
- L’agent ne se penche plus hors du véhicule. Les risques de chute ou de collision avec l’usager sont limités.
- Réduction des risques de TMS. La manutention manuelle est limitée, « sans changer les habitudes ». Les postures contraignantes, la préhension difficile, le poids des cônes... tout s’améliore. En gardant une position droite et sans s’accroupir, l’agent peut se concentrer sur sa sécurité et son travail.
- Confort de travail. En restant à l’intérieur du véhicule, l’agent est protégé du bruit de la circulation, des intempéries, des gaz d’échappement… Moins de contraintes au final. Réduction des facteurs de pénibilité, très accidentogènes. Un écart du véhicule sur la voie lente, un cône mal posé, une chute en avant… peuvent être fatals pour la vie des agents comme pour celle des usagers.
- Des gains de productivité. La durée d’un balisage est réduite de moitié : de 40 minutes aujourd'hui pour couvrir 6 kilomètres, elle passe à 25 minutes. Le temps de travail est divisé par 2. Actuellement, « une équipe de patrouilleurs effectue environ 640 heures de balisage par an. À raison de 320 heures, ce dispositif fait gagner 2 mois de temps de travail. » De plus, il préserve la polyvalence du véhicule. « Un véhicule d’intervention est utilisé à 20% pour le balisage. Grâce à ses 4 points d’ancrage, ce dispositif peut être facilement retiré pour affecter le véhicule à une autre activité. »
« Le MarkWay est un moyen sécurisant à la disposition du personnel autoroutier pour accomplir sa tâche. » Philippe Liegeois, Contrôleur de sécurité, Carsat Sud-Est
Dernière étape : la certification
« Je voulais que mon produit soit testé rapidement pour passer à la version commercialisable. » C’est chose faite avec la version 2 baptisée MarkWay. « Techniquement, ce dispositif a été poussé à l’extrême au niveau automatisation. Il intègre toutes les fonctions de sécurité liées à la machine : capteurs laser pour bloquer le système en cas d’obstacle, rétraction d’urgence automatisée (en cas de dépassement de vitesse, bouton coup de poing). » Enfin, s’il y a un heurt, « le montage du bras a été étudié pour s’extraire très facilement ».
Félix Julien rédige actuellement le marquage CE pour être en conformité avec la législation européenne. Il se fait accompagner par un cabinet conseil chargé d’effectuer un contrôle de conformité de la machine et d’un expert judiciaire. En contact avec l’ASECAP, association européenne des sociétés d’autoroutes, il envisage une étude de marché à l’international. « Seule la fabrication du châssis aluminium est externalisée. Le robot, le coffret électrique, le montage et le câblage sont réalisés en interne. »
À l’avenir, « nous allons développer un chargeur automatique. Le dispositif sera pilotable depuis la cabine. L’agent ne sera plus à l’arrière du véhicule, mais dans la cabine passager. Il interviendra uniquement pour effectuer le pré-séquençage et recharger la pile de cônes. » Un pas de plus dans la sécurisation du métier.
€ Investissement MATI Industries & Technologies, Saint-Andiol (13)
5 salariés, chiffre d'affaires 2014 : 407 K€
Prototypage Mark1 : 80 000 € (développement, matériel, fabrication, main d’œuvre)
Produit commercialisable MarkWay : 50 000 € + 30 000 € véhicule de démonstration
Brevet INPI : 7 000 €
Prêt à taux zéro BPI 100 000 €, prêt banque 50 000 €
Durée du développement : 3 ans
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