Quand la passion d’un artisan chocolatier rencontre le succès, les volumes de production augmentent et les risques s’amplifient. Récit de Stéphane Roux, maître chocolatier, qui a mis en place une action de prévention des troubles musculo-squelettiques, avec le soutien financier de la Carsat Sud-Est.

Stéphane Roux a travaillé 13 ans dans la grande distribution. Tour à tour chef de rayon, formateur en pâtisserie, chef de produit, membre du CHSCT, il a acquis une vision globale sur tous les produits alimentaires transformés, « les plus sensibles en termes d’hygiène et de sécurité des laboratoires ». Avec son épouse, il crée sa propre entreprise en 2007, à Pertuis. « Pour le plaisir de donner du plaisir ». À statut SCOP (Société coopérative et participative), cet atelier de chocolaterie artisanal est porté par l’Union Régionale des SCOP PACA et financé en prêts participatifs par le capital-risque Pargest.

Les décors : la signature du maître

n18 reportage photo2Pour se démarquer de la concurrence, Stéphane imprime tout de suite sa marque de fabrique : des cacaos haut de gamme d’origine rare, un savoir-faire inégalable, et surtout un décor apposé sur chaque chocolat. « Une identité graphique, très visuelle. On était précurseur. Il fallait que ce soit bon et beau. » La première année, il produit 150 000 chocolats. Les décors sont réalisés sur film alimentaire par un prestataire. « Au départ, on nous livrait de grandes planches de décors à découper en carrés de 3X3. Ensuite, je les déposais un à un sur chaque chocolat. Beaucoup de manipulations. Tout était réalisé manuellement. »

« AVANT, je n’avais pas la méthodologie. »

n18 reportage photo3Sur la photo, M. Roux a accepté de rejouer la scène. En sortie d’enrobeuse, il dépose un carré de décor sur chaque chocolat encore chaud. « Le décor fond sur le chocolat encore chaud, et au moment de passer dans le tunnel de refroidissement, le chocolat se contracte avec la pression du froid. À la sortie, on retire le film support et ça brille. » C’est le principe de la décalcomanie, sauf que : « j’étais le seul à poser les décors. Je l’ai fait pendant deux ans. Une nuit, on est réveillé par des fourmillements dans les mains, puis ce sont des paralysies… » Les premiers symptômes de TMS. « Je travaille depuis 27 ans. C’est un métier très manuel. Ce poste a été le déclencheur de l’usure prématurée. » L’électromyogramme détectera un syndrome du canal carpien des deux mains. « J’ai refusé de me faire opérer. Le médecin m’a conseillé du repos. Impossible. La  production. »

« Les risques de TMS ont freiné les perspectives de production et d’évolution. »

n18 reportage photo4« J’ai tenu une année de plus, et j’ai formé une employée. » Mathilde Jamet, chef chocolatière, 25 ans. « Pendant un an, elle a posé les décors avec moi. Elle aussi a commencé à ressentir les premiers symptômes. Le volume de production annuel était passé à 600 000 chocolats ! Je n’avais pas la méthodologie. » En 2011, la Chambre de métiers et de l’artisanat du Vaucluse lui propose de suivre deux cycles d’amélioration de la performance des entreprises artisanales (CAPEA Développement et Action). Il rencontre Gabrielle Barma, qui deviendra la consultante attitrée de l’entreprise. « En réalisant le Document Unique d’Évaluation des Risques, notre consultante a pu constater une problématique de TMS sur ce poste de travail : gestes répétitifs, position statique, cadence… Au vu de l’évolution de l’entreprise, il fallait mettre en place un plan d’actions. »

Les premières mesures organisationnelles

n18 reportage photo5Les cadences étaient imposées par la durée limite de vente. « Il existe la technique de congélation des intérieurs de chocolat. Je m’y refuse pour préserver le goût. » En 2012, il parvient à trouver un professionnel spécialisé dans les produits traiteurs. Les chocolats sont désormais emballés dans des barquettes sous vide avec un sachet absorbant l’oxygène pour éviter l’oxydation. « 0,3% d’oxygène. Ce sachet est 100% naturel (fer et magnésie). » Résultat : « après ouverture de la barquette, j’ai 8 semaines de vieillissement, dont 6 semaines pour le client et 2 semaines de rotation de stock. C’était la solution magique pour nous. » En étalant le travail de fabrication, cette souplesse dans l’organisation de l’activité a permis de diminuer l’exposition journalière. « Moins de stress, moins de TMS. » Un logiciel contrôle la traçabilité et l’étiquetage.

Mais les quantités ont augmenté. « Du chocolat, on en fabrique tous les jours. Les pics de production arrivent avant Pâques, et surtout en octobre / novembre pour Noël qui représente 80% des ventes, 550 000 chocolats. Nous avons cherché une deuxième solution. »

PAROLE DU PROFESSIONNEL : « Un chef d’entreprise doit être capable d’investir un peu plus si cela apporte du bien-être et du confort de travail à son personnel. » Stéphane Roux, L’Art Chocolatier

La solution technique : un packaging automatisé

n18 reportage photo6En 2014, M. Roux trouve un fournisseur de matériel qui fabrique des enrouleurs-dérouleurs sur mesure. Au lieu de se faire livrer des planches de décors à découper en petits carrés, il demande à son prestataire de les réaliser sur rouleaux, de façon à ce que la machine dépose automatiquement les décors sur les chocolats. « Il y a 56 sortes de décors. Un rouleau de 100 mètres peut décorer 9 000 chocolats. C’est un peu plus cher, mais nous gagnons nos mains ! »

n18 reportage photo7Sur la photo ci-contre, les chocolats passent sous l’enrouleur par rangées de trois et ressortent imprimés. La vitesse du tapis a été figée pour réduire la cadence. Le tunnel de refroidissement a été rallongé de 50 cm pour que le chocolat reste plus longtemps à la chaleur extérieure avant d’entrer en refroidissement. Les cellules de froid ont été modifiées pour augmenter le refroidissement dans le tunnel (entre 10 et 15°C) afin de créer un choc thermique nécessaire avec cette technique.

Seul point noir : « le fournisseur a été trop long pour la conception, et l’on n’a pas eu d’assistance à mise en route. » La machine a été livrée en octobre 2015. « Trop tard pour attaquer noël. 550 000 chocolats : nous étions deux à les poser. » Il a fallu positionner les balais, adapter les rouleaux de décors aux bonnes dimensions… « Certains décors centrés étaient impossibles à déposer en machine. Nous avons décidé de refaire ces décors en pêle-mêle. Visuellement, c’est toujours aussi joli. »

CONSEIL + DU PRÉVENTEUR  « La rédaction du cahier des charges permet de sortir du cadre des machines standard, à la fois pour s’adapter à la production et améliorer la maintenance et le nettoyage. »  Philippe Demazeau, contrôleur de sécurité, Carsat Sud-Est

n18 reportage photo8Cette machine est opérationnelle depuis janvier 2016. Les tests sont satisfaisants. La qualité de la dépose à la machine est égale à la dépose manuelle. Pour Stéphane Roux, le pari est gagné. « Plus de décors à poser, et donc plus de douleur aux mains. Je n’ai pas besoin de me faire opérer. » En plus, « la pression psychologique imposée par les délais a disparu. »

Mathilde Jamet, chef chocolatière : « Cette machine a changé beaucoup de choses. Plutôt que de rester statique à l’enrobage, et de se fatiguer, on gagne du temps pour développer la créativité. »

C’est aussi cela l’esprit SCOP, « un partage des valeurs. » Les 4 salariés sont associés au capital de l’entreprise. Deux saisonniers reviennent chaque année. Désormais, l’équipe monte à 7 collaborateurs en saison. « En supprimant deux postes de travail à risque, on génère de l’activité supplémentaire, plus valorisante. Ce temps gagné est réinvesti dans la création de nouveaux produits », se félicite M. Roux.

Un dérouleur a été ajouté en fin de chaîne. Une cellule calcule la vitesse du tapis, le film est décollé automatiquement. Les chocolats arrivent sans le décor pour la pesée et la mise en barquette par thermocellage. La boucle est bouclée.  « Quand on investit dans une machine, il faut l’exploiter au maximum », commente M. Roux. Auparavant, ses collaborateurs devaient retirer manuellement tous les décors en fin de chaîne puis poser les chocolats sur un plateau. « En adaptant la taille des barquettes au tapis, les chocolats iront tout de suite sur les plateaux. On va encore optimiser l’organisation du travail et réduire la gestuelle répétitive au quotidien ! »

L’AFS TMS

n18 reportage photo9Pour l’achat de ce matériel, l’entreprise a bénéficié d’une Aide Financière Simplifiée de la Carsat Sud-Est : l’AFS TMS. « La lutte contre la pénibilité au travail est un état d’esprit, estime Philippe Demazeau, contrôleur de sécurité à la Carsat Sud-Est. Les jeunes qui entrent dans l’entreprise doivent vieillir le mieux possible. » Pour bénéficier de ce dispositif, le diagnostic doit être réalisé par un consultant respectant le Référentiel Régional sur les Risques TMS du « Réseau TMS PACA » (lien en fin d’article). En l’occurrence, c’est Mme Barma qui a établi l’argumentaire. Lorsque le matériel a été mis en place, M. Demazeau est venu assister à la démonstration. « Les conditions de travail se sont considérablement améliorées pour un niveau de qualité a minima égal. »

Maintenant que le principal frein au développement de son entreprise a été levé, M. Roux a le projet d’ouvrir un laboratoire plus grand. « La machine sera probablement un peu plus grande, dimensionnée pour augmenter la production. » L’aventure peut continuer. Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, son apprentie lui a annoncé qu’elle voulait passer le Brevet Technique de Maîtrise. « Une super nouvelle ! »  Philippe Demazeau propose d’accompagner le développement de l’entreprise, notamment sur la conception des nouveaux locaux.

A RETENIR. L’Aide Financière Simplifiée TMS, c’est :

  • jusqu'à 70% remboursés sur la prestation de diagnostic*
  • jusqu'à 40% remboursés sur l’acquisition de matériel et d’équipements*

* Aides plafonnées à 5 000 € par offre. Retrouvez la liste, non exclusive, des membres du « Réseau TMS PACA » en fin d’article.

INVESTISSEMENT : L'Art Chocolatier Pertuis (84120)

création : 2008, activité : fabrication de cacao, chocolats et produits de confiserie.

effectif : 4 salariés et 1 apprenti, chiffre d'affaires 2015 : 478 000 €

surface du laboratoire : 50 m2

enrouleur-dérouleur + équipements complémentaires : 12 000 € HT

En savoir plus :

Passer commande d'une prestation ergonomique dans le cadre d'une action de prévention des troubles musculo-squelettiques, guide INRS 2011, ED860.

L’Aide Financière Simplifiée TMS de la Carsat Sud-Est.

Le réseau TMS PACA.

Liste des membres du réseau TMS PACA.

L’action TMS Pros