Arles accueillera un complexe culturel dédié à la création et la production artistique en 2018. Ce complexe sera composé, entre autres, d’une tour de 56 mètres de haut, conçue par l'architecte américain Frank Gehry, financée par la Fondation LUMA. Pour ce chantier d’envergure d’une durée de 4 ans, les préconisations de la Carsat Sud-Est portent en priorité sur l’intégration des mesures de prévention dès la phase de préparation des chantiers et sur la stratégie d'entretien et de maintenance ultérieure de l'ouvrage.
Classé parmi les 500 plus gros chantiers en cours sur le territoire par le ministère du travail, « les chantiers LUMA / Arles demandent de l’anticipation, du phasage, de la coordination au quotidien », indique Pierre-Amédée van Gaver, chargé d’opération pour MYAMO, assistant à maîtrise d’ouvrage.
Une réunion hebdomadaire a lieu chaque mercredi entre MYAMO, VINCI Construction France, en charge du gros œuvre et Eiffage Construction Métallique, mandaté par le maître d’ouvrage pour réaliser l’enveloppe acier, ainsi que le groupement Cegelec / Santernes / Crudelli / Tunzini pour les corps d’états techniques.
« VINCI Construction France a été missionné pour la construction de la structure, l’organisation générale du chantier et le pilotage des entreprises », précise Pascale Biscay, responsable communication pour VINCI Construction France. En matière de prévention, « les règles du groupe VINCI s’appliquent à toutes les entreprises qui interviennent sur site ». Et elles sont nombreuses.
La coordination des travaux
« Ce chantier se situe dans une ZAC [Zone d'Aménagement Concerté] composée de 10 lots, dont l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie, les éditions Actes Sud et un parc paysager public à aménager », rappelle M. van Gaver.
MYAMO suit l’ensemble des chantiers de LUMA Arles sur le Parc des Ateliers : la Nouvelle Construction, les Forges, la Mécanique, la Formation, les bâtiments d’entrée, ainsi qu’une partie du parc. « SOCOTEC, que nous avons mandaté pour la coordination Sécurité Protection Santé, a son bureau à demeure sur le chantier. »
A cela, il convient de rajouter l’AREA, aménageur de la Région PACA, qui réalise les réseaux communs de cette ZAC. Toutes les deux semaines, une réunion générale (coordonnateurs travaux, coordonnateurs SPS) se tient, afin de gérer en particulier les accès aux différents chantiers.
Ce chantier de niveau I est également soumis à un CISSCT (Collège Inter entreprises de Sécurité, de Santé et des Conditions de Travail) qui fonctionne grâce à un règlement commun à toutes les entreprises. Le coordonnateur SPS préside une réunion trimestrielle où sont conviés la Carsat, l’Inspection du travail, l’OPPBTP et l’ensemble des entreprises intervenant sur site.
Les travaux préparatoires
Le Parc des Ateliers est un ancien site industriel. Dès l'obtention du permis de construire en juillet 2013, il a fallu procéder au retrait des terres non inertes et aux opérations de pré-terrassement.
« Suivant l’étude géotechnique et les prescriptions du géotechnicien, la stabilité du talus a été renforcée grâce à la mise en œuvre d’une paroi moulée au béton projeté et par la pose d’inclusions rigides », précise Santos Sampietro, coordonnateur SPS (SOCOTEC). [photos chantier © Nicolas Brizé]
Gérer la coactivité
Depuis novembre 2014, le chantier est entré dans la phase de construction de la structure. À fin juin 2015, il rassemblait près de 150 intervenants (compagnons, sous-traitants et agents d’encadrement).
En 2016, quand l’habillage de la façade débutera, en présence de tous les corps d’état, jusqu'à 80 ingénieurs et 250 compagnons interviendront sur site. « 5 chantiers se déroulent en même temps, il y a 3 MOA et beaucoup d’intervenants, indique M. van Gaver. Et en plus, on reçoit du public ! »
Les Rencontres de la Photographie d’Arles : 100 000 personnes sont attendues, dans la Grande Halle (un lieu d’exposition réhabilité par la Région), le bâtiment de Formation, le Magasin Electrique (propriété des Editions Actes Sud), les Forges (ouvertes au public en permanence à l’hiver 2015). « Nous devons nous assurer que le public ne s’introduit pas sur le chantier. » Dès le départ, « le phasage des travaux a intégré ces périodes d’ouverture du site au public », note Pascale Biscay.
Une passerelle (en photo 2) a été spécialement montée pour assurer « la sécurité et l’étanchéité » entre le public et le chantier. « Nous avons ainsi sécurisé l’accès au chantier et celui du Parc des Ateliers ouvert au public durant tout l’été », assure Mustapha Cheddad, directeur de travaux Gros Œuvre chez VINCI Construction France.
De la 3D à la 2D : un suivi en temps réel
Digital Project (sous licence Gehry Technologies) est le logiciel utilisé pour modéliser les données de la Tour. « Cet outil partagé par les bureaux d’étude de tous les corps d’état permet de synchroniser en temps réel la conception 3D du projet, jusqu'à la finalisation », précise Pascale Biscay. Le volume d’information qu’il génère est colossal.
Chez MYAMO, on considère que « cet outil est très performant, à condition de bien gérer la mise à jour et la diffusion de l’information ». Comme le souligne Mustapha Cheddad, « les plans d’exécution sont extraits de la maquette 3D, et non l’inverse comme c’est le cas habituellement. » Les règles de réalisation sont déterminées au fur et à mesure de la construction dans un processus d’échange continu inter entreprises.
Un prototype grandeur nature
Certains procédés restent toutefois difficiles à évaluer au plan virtuel. En avril 2015, un prototype échelle 1:1 a donc été construit sur le Parc des Ateliers afin de valider/modifier les méthodes, les procédés d’assemblage, la tenue et le levage des matériaux, mais aussi la résistance au vent, l'application des normes parasismiques et envisager l’entretien courant des « briques Inox » ou les GlassBox vitrées et la fréquence de nettoyage ou les protections collectives,…
La Tour en chiffres
Hauteur 56 m et 10 niveaux au-dessus de l’avenue Victor Hugo, 2 niveaux entre le niveau du Parc et l’Avenue, surface 30 000 m2, parking semi-enterré sur 3 niveaux (20 m.).
12 000 m3 de béton et 1 000 tonnes d’acier, pour réaliser 32 000 m2 de voiles, 23 000 m2 de dallage, 5 000 m2 de DAP (dalle alvéolée en béton précontraint).
Durée du chantier de construction : 4 ans. Livraison : début 2018.
Coût global pour l’ensemble des chantiers : environ 150 millions d’euros
Un précédent : la Fondation Louis Vuitton à Paris
La première visite de Claudie Meyer, contrôleur de sécurité à la Carsat Sud-Est pour le secteur d’Arles, remonte à septembre 2014. « A la demande de la Carsat Sud-Est et en accord avec le MOA, une réunion de présentation du projet a été organisée à destination des organismes préventeurs avant le démarrage du chantier », indique Laetitia Corbi, responsable QSE VINCI Construction France pour la Nouvelle Construction LUMA Arles.
Céline Folcher, contrôleur de sécurité dans les Alpes-Maritimes, a également assisté aux réunions préparatoires. « Mme Folcher était précédemment en charge du secteur BTP à la Cramif (Caisse régionale d'assurance maladie d'Île-de-France), et à ce titre, elle a pu suivre une partie de la construction de la Fondation Louis Vuitton [architecte : F.Gehry, gros œuvre : VINCI Construction France]. Les problématiques étant relativement similaires, il y a eu un transfert de compétences pour s’enrichir de l’expérience de la Fondation Louis Vuitton et formuler des recommandations, notamment pour ce qui concerne la stratégie d’entretien de l’édifice après réalisation », note Claudie Meyer.
En fait, MYAMO a sollicité la Carsat Sud-Est dès les travaux de démolition et le curage des Forges. « Il s’agissait de faire valider les modes opératoires de retrait des peintures au plomb sur les structures métalliques du bâtiment. Avec la Carsat et la Direccte, nous travaillons dans la transparence. Les échanges sont permanents. »
La tour de 10 niveaux repose sur un socle en béton. Chaque niveau est construit en planchers « pétale » mixant charpente métal / bac acier et béton, réalisés par cycle de 12 jours. La structure béton est habillée d’une charpente métallique et d’une grande verrière destinée à l’accueil du public. Les façades en inox, irrégulières, présentent des blocs de verre en excroissance, et aussi, une faille vitrée. « Les préconisations de la Carsat Sud-Est portent en priorité sur la phase de préparation du chantier et sur la stratégie d'entretien et de maintenance de l’ouvrage », souligne Claudie Meyer.
L’intégration des mesures de prévention en amont
La grue à tour de 75 m. est la pierre angulaire du chantier (un massif de 250 m3, 500 tonnes). Installée sur un massif rocheux, « elle a nécessité beaucoup de reprises de talus dans la phase de préparation du chantier », précise Laetitia Corbi.
La présence d’une ligne à haute tension à proximité impacte la zone d’évolution et « des dispositifs tels que des capteurs de fin de course ou des limiteurs de charge ont été installés sur la grue », note Mustapha Cheddad.
Afin de prévenir les risques de renversement sous l’effet du vent, un anémomètre mesure la vitesse du vent en permanence et un abonnement auprès de Météo-France a été souscrit par l’entreprise de travaux.
« A partir de 60 km/h, un dispositif d’alarme se déclenche et vient mettre hors service la grue. On dit alors de la grue qu’elle est « en girouette », l’ensemble flèche et contreflèche étant alors libre de rotation et l’orientation se fait favorablement dans l’axe de la plus faible prise au vent. »
Zoom sur 4 recommandations de la Carsat Sud-Est :
- La mise en place d’un monte-grutier (en photo). Deux grutiers se relaient dans la journée. L'ascension par les échelles génère des contraintes posturales et physiologiques importantes (fatigue, troubles du rythme cardiaque pouvant entraîner un malaise lors des phases de montée et/ou descente, ainsi qu'au poste de travail). « La Carsat et la Direccte nous ont alerté sur ce sujet, affirme Laetitia Corbi. Nous avons anticipé l’obligation réglementaire consistant à équiper d’un ascenseur monte-grutier toute grue à tour de plus de 60 m., à compter du 01/01/15 » (plus de 30 m. à horizon 2017) selon la recommandation CNAM-TS R459.
- Une caméra embarquée sur le chariot de grue. Depuis l'écran installé en cabine, le grutier a une vue directe à 360 degrés sur les charges à lever. Ce dispositif vient en complément de la liaison radio entre le grutier et les chefs de manœuvre, identifiés par un casque rouge.
- Le levage de charges : tout le personnel (toutes entreprises confondues) a reçu une formation spécifique à l’élingage, « mais tout le monde n’est pas habilité à donner ordre au grutier de lever la charge, précise M. Cheddad. Seuls les compagnons revêtus d’un casque rouge sont en liaison radio avec le grutier pour donner cet ordre. »
- Un ascenseur de chantier a été prévu pour assurer la circulation verticale du personnel ainsi que la manutention du petit matériel non approvisionné par la grue dans les différents niveaux de la tour (recommandation R445 en fin d’article).
« Le 5 juin dernier, le GRIMP [Groupe de Reconnaissance et d'Intervention en Milieu Périlleux] a effectué un exercice d’évacuation du grutier par tyrolienne », ajoute Laetitia Corbi. Plusieurs exercices sont formalisés avec les pompiers d’Arles sur toute la durée des travaux pour qu’ils aient une parfaite connaissance du bâtiment, sa structure, ses issues de secours, etc.
D’autres points sont à l’étude, concernant la réalisation du noyau béton, des planchers en pétales ou la pose des éléments de charpente. « Le principe général retenu est la préfabrication et l’assemblage au sol du maximum d’éléments, indique SOCOTEC. Au fur et à mesure que la structure métallique va s’élever, les planchers seront coulés et les fixations seront enlevées. Puis on attaquera la fermeture du bâtiment par des coques. »
L’usage de nacelles de grande hauteur sera généralisé pour l’habillage des façades. « Les protections collectives seront enlevées au fur et à mesure que les coques seront mises en place. » Là encore, le vent est un élément contraignant. « À partir de 30 km/h, la grue/nacelle devra sans doute cesser son intervention. »
Le phasage est important : tôt le matin ou en fin de journée, quand le vent baisse. Une réflexion est en cours sur le système d’accrochage des éléments de façade en béton décoratifs. Enfin, les échelles sont interdites.
VINCI Construction France n’utilise que son propre matériel, « des escaliers provisoires d’une seule pièce dits Escalib [en photo] et des échafaudages dits ELB (3 m. de large) modulables, autostables, manutentionnés à la grue », note Laetita Corbi.
La stratégie d'entretien et de maintenance de l'ouvrage
La réflexion porte sur 3 grandes thématiques du DIUO (Dossier d'intervention ultérieure sur l'ouvrage) : les terrasses extérieures inaccessibles, la rotonde de verre (toit de 56 m. de diamètre et verrière verticale périphérique d’une hauteur de 16 m.) et les espaces de grande hauteur à l’intérieur du bâtiment. « La Carsat privilégie toujours le niveau 1 de prévention », indique Claudie Meyer.
3 niveaux de prévention
- niveau 1 : Protections collectives permanentes. C’est une priorité pour la Carsat : garde-corps définitifs enfichés dans la structure, acrotères de plus d’1 m. en terrasse pour intervenir sur les panneaux photovoltaïques, etc.
- niveau 2 : Protections collectives amovibles. Lorsque le niveau 1 ne peut être mis en œuvre, sous la responsabilité du MOA, d’autres dispositions peuvent être envisagées. Ainsi, les interventions sur le toit de la rotonde de verre pourront être sectorisées et l’on pourra recourir à des dispositifs de garde-corps amovibles ou rétractables. Leur mise en place, depuis une protection collective de type nacelle, devra faire l'objet d'une EvRP (évaluation des risques professionnels).
- niveau 3 : EPI et lignes de vie (dispositif d'ancrage pour le travail sur corde). Ce dernier niveau de prévention ne peut être accepté qu’en cas d’impossibilité technique démontrée de ne pouvoir mettre en place une protection collective fixée à demeure ou temporaire en réalisant une EvRP.
[© Gehry Partners, LLP]
A ce stade de la réflexion, MYAMO envisage « un nettoyage par jet haute pression et des brosses télescopiques par des outils à distance, à partir d’un sol ou d’une terrasse ». L’idée est de combiner plusieurs types de nacelles pour le nettoyage.
La grue/nacelle de 90 mètres donnerait accès à l’intégralité de la façade extérieure, et des nacelles plus petites, de type PEMP [plate-forme élévatrice mobile de personnel] hissées sur des monte-charge, permettraient de gérer l’intérieur de la verrière.
Concernant la maintenance des quelques 100 châssis ouvrants sur la périphérie du toit de la rotonde, « les positions de ces éléments exposeront différemment les actions de maintenance. C’est pourquoi plusieurs types de protections collectives sont envisagés et étudiés », indique Socotec.
Ces choix font actuellement l’objet d’une discussion entre le groupement de maîtrise d’œuvre, la Carsat Sud-Est, l’Inspection du travail et le MOA. « Au final, c’est le MOA qui porte la responsabilité. On raisonne par analyse des risques : les conséquences, l’occurrence du risque etc. » explique M. van Gaver. Exemple avec la verrière de la Rotonde. « Comment diminuer les interventions de nettoyage ? En utilisant des verres matricés. De petits points noirs incrustés dans le verre masquent les saletés plus longtemps. Côté extérieur, des points blancs réfléchissent les rayons du soleil. Il y aura moins de lumière, ce qui est un atout dans la région. »
En savoir plus :
- Recommandation R459, Cnamts 2012 : Amélioration des conditions de travail dans les grues à tour.
- Recommandation R441, Cnamts 2010 : Manutention des armatures métalliques.
- Recommandation R445 : Mécanisation du transport vertical des personnes et des charges sur les chantiers, Cnamts 2009.