Le chantier de construction Effervescence (Marseille 10è) a mis en œuvre une démarche globale de prévention des risques liés aux manutentions. Une première chez Kaufman & Broad, maître d’ouvrage, qui entend bien décliner la méthode dès la conception des marchés.
4 immeubles en briques rouges, 213 logements, 5 200 m² de surface commerciale en rez-de-chaussée, 50 000 m2 de surface hors œuvre brute : le programme immobilier Effervescence de Kaufman & Broad Méditerranée est localisé à Marseille dans le quartier Saint-Loup. Le futur centre commercial Intermarché occupera la totalité de la surface en rez-de-chaussée et les 4 immeubles R+7 le surplomberont aux quatre coins. Les travaux ont débuté en septembre 2015, la livraison est prévue à l’été 2017.
La formule « Recettes - Lifts - Ascenseurs définitifs »
« Sur proposition de la Carsat Sud-Est, nous avons mis en œuvre une démarche globale de prévention au niveau des livraisons, des approvisionnements et des moyens de manutention, indique Arnaud Ravel, directeur technique chez Kaufman & Broad. » Cette démarche s’articule autour de 3 axes :
- la mutualisation des moyens de manutention,
- la mécanisation des transports verticaux du personnel, des matériels et matériaux,
- la continuité, tout au long du chantier, des moyens communs de manutention.
Pendant la phase de gros œuvre, les manutentions sont prises en compte par les grues à tour. Quand arrivent les corps d’état secondaires, les premiers bénéficient de la grue à tour et des recettes à matériaux, puis le relais est assuré par les ascenseurs de chantier (ou lifts), et ensuite par les ascenseurs définitifs.
« Il y a toujours une phase délicate entre la fin du gros œuvre et la réception du bâtiment. Ici, la prévention des risques liés aux manutentions et aux circulations est assurée en continu sur toute la durée du chantier et mutualisée pour générer des économies et disposer d’équipements conformes, complets et adaptés en permanence. » Anne-Marie Passoni, contrôleur de sécurité, Carsat Sud-Est
Point Réglementation
Article R4541-3 du Code du travail : « L'employeur prend les mesures d'organisation appropriées ou utilise les moyens appropriés, et notamment les équipements mécaniques, afin d'éviter le recours à la manutention manuelle de charges par les travailleurs. »
1. Les recettes à matériaux
Pour les travaux de gros œuvre, 4 grues à tour, de 40 à 60 mètres de hauteur, ont été érigées pour alimenter la totalité du chantier. Elles approvisionnent directement les planchers, les terrasses des logements aux étages en cours de réalisation.
« Pour approvisionner les étages inférieurs, en l’absence de recette, le déchargement à la grue comporte toujours des risques pour les salariés », note Anne-Marie Passoni. Équipée de garde-corps périphériques, cette plateforme sécurise l’approvisionnement en hauteur des matériaux et permet un stockage provisoire.
« Avant démontage des grues, une grande campagne de livraison a été anticipée pour le plaquiste et les menuiseries extérieures, précise Olivier Pezeron, maître d’œuvre (Poissonnier Ferran). On savait que ces matériaux ne passeraient pas par les lifts. » À noter aussi que « tous les utilisateurs ont signé une convention de prêt de grue, avec obligation de formation à l’élingage. »
2. Les ascenseurs de chantier
Dès le démontage des grues, des lifts sont mis en place sur chaque bâtiment pour transporter les personnels et approvisionner les corps d’état secondaires : cloisonnement, carrelage, sanitaires, peinture, etc. En septembre, 3 lifts extérieurs ont été installés. Il reste encore une grue en service qui sera remplacée par un 4ème lift avant la fin de l’année.
« En tant qu’entreprise de gros œuvre, nous n’utilisons presque pas les lifts, indique Nelson Trezentos, directeur de Méditerranée Construction. Nous apportons une prestation de service pour faciliter la manutention des autres corps d’état. »
Ce dispositif est contraignant. « Avec le maître d’œuvre, nous avons dû choisir un fournisseur et le matériel le plus approprié. Faire des aménagements spécifiques : rampes, accès à conserver, etc. » Ici c’est la capacité de charge qui est privilégiée : 1 300 kg. Chaque lift peut transporter jusqu'à 9 personnes, un nombre dégressif en fonction de la charge des matériaux. Ensuite il y a le temps d’installation : « un lift monté sur 4 niveaux s’installe en 3-4 jours, un lift monté sur 10 niveaux (7 étages+rez-de-chaussée+2 sous-sols) en 7 jours », précise le maître d’œuvre. Enfin, « nous devons gérer les plannings et les conventions d’utilisation avec chaque corps d’état. Une formation à l’utilisation du lift de 2-3 heures est dispensée à chaque entreprise utilisatrice. »
Il a fallu convaincre toutes les entreprises de second œuvre, qui avaient déjà signé leur contrat, d’adhérer à cette démarche, car cela représente aussi des frais. Ils viennent bien sûr en déductions des moyens qui avaient été envisagés au départ (manutentionnaires, plateforme de levage,...). Cela a nécessité plusieurs réunions de coordination, dont les acteurs moteurs et essentiels étaient le Coordonnateur SPS (Sécurité et Protection de la Santé), le MOA (Maître d’ouvrage) et le MOE (Maître d’œuvre).
La mise en service anticipée des ascenseurs définitifs
Les 4 lifts seront retirés dès que les ascenseurs définitifs à l'intérieur des bâtiments seront mis en service… à la fin février 2017. C'est-à-dire 5 mois avant la fin des travaux. Cette mise en service anticipée va faciliter les déplacements et l’approvisionnement de tous les corps d’état secondaires aux étages.
« Certains matériaux ne rentrent pas dans ces ascenseurs comme les baignoires, les bacs à douche ou les portes-fenêtres… précise le maître d’œuvre. Ils ont été approvisionnés en amont par la grue via la recette à matériaux. »« Certains matériaux ne rentrent pas dans ces ascenseurs comme les baignoires, les bacs à douche ou les portes-fenêtres… précise le maître d’œuvre. Ils ont été approvisionnés en amont par la grue via la recette à matériaux. »
L'organisation des livraisons : un gros travail d’anticipation
Ce triptyque de moyens nécessite une importante organisation logistique en amont. Le planning d’utilisation des grues est étudié chaque semaine en réunion de chantier. « Avec le Coordonnateur SPS, nous recherchons les moyens les plus adaptés aux différents types de matériaux et de colisage, ainsi qu’aux phases de chantier, note Éric André, conducteur de travaux chez Méditerranée Construction. Dans la phase de gros œuvre, deux plannings ont été menés en parallèle : un planning de livraison des matériaux par entreprise et un planning de positionnement des recettes à matériaux. Il fallait savoir où approvisionner les recettes, semaine après semaine. »
PAROLE DU PROFESSIONNEL : « Cette démarche est une contrainte qui améliore l’organisation générale du chantier, car cela oblige toutes les entreprises à mesurer le nombre et la taille exacte des colis. Et surtout à donner des obligations de livraison à leurs fournisseurs. » Olivier Pezeron, maître d’œuvre, Poissonnier Ferran
Arnaud Ravel (K&B) confirme : « Penser une organisation, formaliser toute la phase de préparation et l’expliquer, tout cela oblige les entreprises à s’organiser et à mieux gérer leurs approvisionnements, notamment les plus lourds, ceux qui nécessitaient la grue et la recette. Ils ont été largement anticipés. »
La qualité de l’analyse prévisionnelle des besoins potentiels des entreprises par le MOE et le CSPS est un gage de réussite. Elle est donc liée à l’expression des besoins des entreprises concernées.
Le MOE doit relancer en permanence les entreprises pour obtenir toutes les informations nécessaires à une bonne gestion logistique. Veiller à ce que les documents administratifs de convention de prêt et d’utilisation de ces moyens soient correctement renseignés.
Prise de conscience des donneurs d’ordres
Fait assez remarquable, « cette démarche n’était pas prévue dans les pièces du marché au départ, elle a été prise en compte en cours de projet », observe Anne-Marie Passoni.
Petit rappel historique. C’est en 2015 que la Carsat Sud-Est a mené une action de formation sur le rôle et responsabilités du MOA, assistants et délégataires du BTP des régions PACA et Corse. Une cible privilégiée qui s’inscrit dans l’action nationale dite SCALP (Sécurisation des Circulations, Accès et Livraison de Plain pied) et METAH (Marchés Equipements de Travail en Hauteur). Cette formation, le directeur technique de K&B l’a bien suivie, mais « après la conception et le montage de l’appel d’offres et des marchés de travaux des entreprises. »
PAROLE DU PROFESSIONNEL : « Compte tenu de son importance, le chantier Effervescence était une bonne occasion de mettre en œuvre les préconisations de la Carsat Sud-Est. En tant que maître d’ouvrage, Kaufman & Broad a pris l’initiative de mettre les moyens pour investir sur la mécanisation et la mise en commun des manutentions. » Arnaud Ravel, directeur technique, Kaufman & Broad
Au plan financier, « nous avons demandé aux entreprises qui intervenaient déjà sur le chantier de participer à l’investissement, poursuit Arnaud Ravel. K&B a été moteur. Environ 130 000 € hors taxes ont été investis, dont près de 60 000 € par le maître d'ouvrage. Une première dans le groupe. Le reste est pris en charge entre les entreprises utilisatrices selon une clé de répartition. »
Hervé Gastou, Coordonnateur SPS (Bureau Veritas), a animé plusieurs réunions de coordination sur ce point avec les entreprises de second œuvre, peintres, électriciens, menuisiers, carreleurs, etc. « Tout le monde s’est assis autour de la table. À l’aide de statistiques et de graphiques, nous leur avons démontré que cet investissement était dans leur intérêt. Certes, ce n’était pas prévu dans les pièces du marché, et la participation du MOA dans la balance financière a été un élément déclencheur. Mais il faut souligner la dimension collective de la démarche. MOA, MOE, Gros Œuvre, tous les acteurs ont été proactifs sur le sujet, aux côtés de la Carsat Sud-Est et de l’Inspection du travail. »
La démarche sera déclinée dès la phase de conception
« Cette démarche sera déclinée systématiquement dans nos cahiers des charges pour tous les travaux, annonce Arnaud Ravel. » C’est déjà le cas sur le chantier « Terracotta » à Aubagne. Pour ce programme urbain de taille plus modeste R+3, la recette à matériaux et la mise en service anticipée des ascenseurs sont des moyens jugés suffisants. « À partir du R+6, on peut envisager la mise en place de lifts. En dessous, le rapport coût/bénéfice est plus difficile à démontrer. »
Même son de cloche chez Méditerranée Construction, qui a vocation à devenir de plus en plus une entreprise générale. Son directeur Nelson Trezentos estime lui aussi que « l’installation des lifts doit se faire en adéquation avec les besoins, par rapport à la taille des bâtiments, la configuration des lieux ou la nature des marchés traités. » D’autre part, il n’envisage pas d’acquérir des lifts. « Seule une entreprise prestataire peut apporter toutes les garanties : spécialisation des équipes, contrôle du matériel par un organisme agréé, service de maintenance, entretien, lieu de stockage du matériel, etc. »
Il va sans dire que cette démarche mériterait une étude d’impact approfondie sur la productivité, mais ce calcul est rendu difficile aujourd'hui du fait qu’on ne sait pas évaluer le temps passé à manutentionner dans le second œuvre. Pourtant, MOA, MOE, Gros Œuvre, tout le monde s’accorde à penser que les lifts ont de sérieux atouts : au-delà de la sécurité et du confort des salariés, le stockage est réduit, l’organisation des livraisons est bien pensée, le matériel est approvisionné plus vite, sans parler du bien-être au travail, autant d’éléments qui contribuent à un gain de temps et d’efficacité.
La prévention des risques professionnels dans le BTP reste une priorité en PACA, malgré une baisse de 4,4% de l’indice de fréquence en 2015 et des améliorations constatées sur le terrain. 17 décès en 2015, 7 179 accidents du travail avec arrêt, 398 maladies professionnelles déclarées. L’indice de fréquence est le plus élevé de la région : 58,3‰ (nombre d’accidents de travail avec arrêt, pour 1000 salariés). 1 maladie professionnelle sur 5 est imputée au BTP.
Fiche technique Chantier Effervescence, Marseille (13010)
Secteur BTP, surface 50 000 m² Shob, durée du chantier : 22 mois
Phase de gros œuvre : de 30 à 100 salariés sur site
MOA : Kaufman & Broad Méditerranée
MOE : Poissonnier Ferran
Gros Œuvre : Méditerranée Construction
CSPS : Bureau Veritas
Investissement global (recettes-lifts-ascenseurs) : environ 130 000 €, dont 100 000 € pour les 4 lifts.
En savoir plus :
Recommandation R.476 : livraison de matériaux et éléments de construction sur les chantiers de BTP. Cnamts, 2016.
Manutention manuelle : aide-mémoire juridique. INRS, 2016.