Durant la crise sanitaire, le fabricant de satellites a mis en œuvre un plan global d’adaptation, notamment pour maintenir les activités critiques et vitales d'importance stratégique. Zoom sur le site industriel de Cannes, qui a engagé très en amont une démarche de réflexion avec les partenaires sociaux pour une reprise de l'activité dans de bonnes conditions de sécurité sanitaire, avec un échelonnement et une progressivité à partie de début avril 2020. Interview de Pierre Lipsky, Directeur de l'Etablissement de Cannes de Thales Alenia Space, et Frédéric Leonardi, RH / Responsable du Développement Social, Thales Alenia Space France.

Thales Alenia Space conçoit et délivre des systèmes satellitaires pour la Défense et la Sécurité, adressant les domaines des Télécommunications, de la Navigation, de l’Observation de la Terre et de la gestion de l’Environnement, de l’exploration et des sciences. Présent dans 8 pays, le Groupe franco-italien emploie 7 700 salariés, pour un chiffre d'affaires 2019 de 2,15 milliards €. Le site industriel de Cannes (06) emploie 2 100 salariés (Conception, Assemblage Intégration et Tests des satellites, instruments d’optique spatiale, mise et maintien à poste des satellites).

Quelles ont été les impacts du COVID-19 sur l’activité du site THALES ALENIA SPACE à Cannes?

_ Pierre LIPSKY et Frédéric LEONARDI : Il est trop tôt pour pouvoir évaluer globalement l’impact du COVID-19 sur notre activité. Au début de la crise, nous avons pu maintenir sur site les activités critiques et vitales pour nos clients et les citoyens (satellites de télécommunications et d'observation pour le gouvernement français) dans le strict respect des consignes sanitaires et de la protection de nos employés. Le site de Cannes (18 hectares, 15 000 m2 de salles blanches) a été maintenu en conditions opérationnelles, notamment les activités de maintenance et de sécurité, ainsi que les infrastructures soutenant le télétravail. En parallèle, le télétravail a été largement déployé pour les activités pouvant se faire à distance (ingénierie, fonctions supports, qualité, juridique, finance, ressources humaines...).

Début avril, une reprise progressive a été mise en place, en concertation avec toutes les parties prenantes incluant les partenaires sociaux et la Carsat Sud-Est. Ce dispositif a été conduit dans le respect des consignes de sécurité sanitaire, à la fois pour nos équipes et celles des acteurs de la supply chain (gel hydro-alcoolique, gants, masques, etc). Celle-ci a été centralisée au niveau du Groupe dès le premier jour, et il n'y a jamais eu de rupture de stock. Nous avons aussi travaillé main dans la main avec nos clients et nos fournisseurs. Et grâce à la robotique, nous avons pu assurer des activités de production en salles blanches. Ce faisant, nous nous sommes adaptés au contexte sanitaire, pour retrouver le maximum de capacité de production possible à la mi-juin.

Avez-vous pu poursuivre les programmes en cours durant le confinement ?

_ Au plan opérationnel, nous avons livré et franchi des étapes clés pour nos programmes en cours : par exemple, la plateforme Sentinel 3D (satellites d'observation de la Terre - programme Copernicus, lancement 2021) a été livrée de Rome à Cannes en avril ; la charge utile du satellite SES17 (satellite de télécommunications pour la connectivité à très haut débit) a été livrée de Toulouse à Cannes ; l’intégration de la plateforme du satellite d’océanographie SWOT a été opérée à Cannes avec les équipes de l’Agence Spatiale Française CNES (satellite franco-américain à double mission d’océanographie et d’hydrologie).

Au niveau de l’organisation du travail, quelles actions avez-vous mises en place pour protéger le personnel sur le site cannois ?

Dès le 26 mars, un accord a été négocié au niveau du Groupe Thales, rappelant comme préalable les conditions sanitaires à déployer, fixant les conditions permettant la continuité des activités critiques/stratégiques, les mesures adoptées afin d’accompagner l’adaptation des activités, ainsi que les dispositifs préalables au recours à l’activité partielle (pose de RTT collectifs, de congés par anticipation, de congés d'ancienneté et le solde des congés payés). Le télétravail a été utilisé dès lors qu’il était possible dès le 18 mars et pour les activités critiques/stratégiques ne pouvant se dérouler que sur site, et un plan de reprise graduel et progressif conforme aux dispositions de l’accord groupe et de ses conditions sanitaires a été élaboré fin mars : intégration de deux promotions de quelques dizaines de salariés par semaine, mise en configuration des zones concernées au préalable, avec vérification systématique des conditions sanitaires et retour d’expérience après chaque intégration pour ajuster les procédures. Le volume concernait au départ une centaine de salariés.

Le redémarrage des activités de production et d'intégration sur site s'est fait progressivement, avec la mise en place de deux équipes étanches A et B en horaires décalés, de manière à diviser par deux la densité de personnes présentes sur site, et à limiter les risques de contamination. Cette montée en charge a été graduelle : 40 salariés la 1ère semaine, 2x40 la 2ème semaine, ponctuée de retours d'expérience. Fin avril, en lien avec le CSE, nous avons intégré progressivement 320 salariés supplémentaires. Le 8 mai, 100% de nos activités de production et d'intégration ont pu redémarrer, suivies de la CAO (conception assistée par ordinateur) et du design, soit environ 600 salariés au total. Le 11 mai jour du déconfinement, nous avons adapté notre dispositif avec les consignes sanitaires nationales, notamment en formant 360 salariés sur site chaque semaine. A compter du 08 juin, nous avons mis en place un mix télétravail/présentiel 2 à 3 jours par semaine. À la fin juin, la jauge sanitaire correspond à près de 1 600 personnes sur site, mixée avec les télétravailleurs qui alternent leur présence.

Et sur les plans technique et humain, quelles sont les mesures que vous avez prises ?

_ Avant le 8 avril, notre DUERP a été mis à jour pour tenir compte des consignes sanitaires COVID. En lien avec les instances représentatives du personnel, l'évaluation des risques a été mise à jour régulièrement, à l’échelle de l’établissement, puis aux postes de travail concernés (les salles blanches, puis les bureaux d'études CAO...). Cette analyse continue au fil de l'eau a permis de définir les mesures adaptées pour garantir la bonne mise en œuvre des conditions sanitaires, le bon niveau de protection individuelle, et de dimensionner le nombre de personnes à accueillir au maximum, au niveau global et pour chaque zone de travail.

De même, les procédures de nettoyage et de désinfection du site ont été adaptées à l’environnement industriel et au tertiaire : port du masque obligatoire en salle et dès lors que la distanciation de 2 mètres ne pouvait pas être respectée ; mise à disposition de kits (désinfectant, gel, lingettes…) à proximité des postes de travail ; affichages des mesures sur le site... Le retour sur site ne peut se faire qu’après la vérification de l’état de santé par le service médical (via un questionnaire médical), et une formation en e-learning. Préalablement à la prise de poste, une formation sur site est obligatoire, en complément du e-learning, y compris pour le personnel de nos prestataires. Enfin, des managers référents par zones ont été mobilisés afin d’informer, vérifier et relayer les ajustements à réaliser sur le terrain.

Sur quels acteurs vous êtes-vous appuyés dans cette démarche ?

_ L’ensemble des équipes de l’Etablissement, HSE notamment, les équipes RH, Informatiques, Communication, et un réseau de managers. Les instances représentatives du personnel, appuyées par un cabinet d’expertise, ont été associées à la démarche de bout en bout, et se sont très largement impliquées à chaque étape. Le déroulement des réunions avec les IRP a été maintenu en audio pendant la période de confinement, il a même été renforcé par de nombreuses réunions informelles. Durant tout ce temps de reprise, Jean-Denis Clary, Ingénieur Conseil à la Carsat Sud-Est, a apporté une aide régulière sur la prévention des risques professionnels. La Direction Générale a quant à elle été constamment à l’écoute des besoins et a fortement soutenu les équipes en charge de ce processus. Le Groupe a joué un rôle d'expert, en nous donnant très rapidement des directives claires en matière de HSE, que nous avons déclinées dans l'établissement.

Un dispositif de communication particulier a-t-il été mis en place pour les salariés ?

_ Dès le début de la crise, des communications régulières ont permis d'informer les salariés sur la situation, les décisions de l’entreprise pour faire face à la crise, les mesures sanitaires mises en place, l’état sanitaire du site, etc. Une section dédiée au COVID-19 a été créé sur l’intranet, et un kit de communication pour les managers a été diffusé pour accompagner les messages auprès des équipes avec le plus de clarté possible. Une newsletter hebdomadaire interne a été diffusée à tous les employés pour les informer, les encourager, les garder en contact avec les nouvelles de l’entreprise. Un site extranet a été créé pendant cette période afin de partager les informations avec les salariés ne disposant pas d’une connexion au réseau de l’entreprise.

Avant toute reprise d’activité sur site, chaque salarié concerné a reçu une note d’information détaillée incluant les règles à respecter sur site. Nous avons mis en place une cellule d’écoute, réalisée par un prestataire spécialisé, afin d'accompagner les employés et répondre à toutes leurs interrogations sur le dispositif. Une analyse de prévention des risques psychosociaux relative au retour sur site a été conduite et partagée avec les partenaires sociaux de la Commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT), laquelle a été impliquée dans tous les détails de la reprise (formation, information des salariés, audits préalables à l'intégration, etc.). Elle a été présentée aux instances représentatives du personnel à plusieurs reprises entre le 31 mars et le 3 avril. Le dialogue et la cohérence des informations ont été assurés de façon continue avec les IRP.

Quels messages voulez-vous faire passer aux entreprises qui appréhendent la reprise d’activités ?

_ Ne faire aucun compromis sur la sécurité des personnes, et le faire savoir aux salariés qui ne sont pas présents sur le site. L’enjeu fondamental pour créer l’adhésion à la reprise d’activité, c'est la mise en place effective de conditions sanitaires adaptées à la typologie des postes de travail via une analyse sérieuse et dynamique des risques (DUERP) et la bonne information/formation des équipes. Pour que la reprise soit vécue comme un projet d’entreprise qui devient l’affaire de tous, la mobilisation des équipes compétentes, des managers, des représentants du personnel et des salariés est l'une des clés. Enfin, il faut informer les employés fréquemment, être présent sur le terrain, au contact des équipes.

La démarche de prévention déjà en place sur le site a-t-elle facilité la prise en compte de la gestion du risque Covid ?

_ Oui, elle a permis de structurer l’analyse de ce risque spécifique et d'identifier les enjeux majeurs pour la sécurité des personnes. Les décisions prises en ont été objectivées, adaptées localement et comprises. L’analyse de risques a pu ainsi couvrir tous les aspects, y compris le volet comportemental.

Comment voyez-vous la suite du déconfinement ?

_ Le retour des salariés se fait dans le cadre du processus que nous avons défini le 8 avril : retour progressif par intégration de deux promotions par semaine, vérification préalable de l’état de santé, formation préalable à la prise de poste, etc. Le télétravail reste applicable. À la fin juin, environ 1 200 salariés sont en mix télétravail/présentiel (contre 250 salariés initialement). Nous avons franchi une étape dans le mode d'organisation du travail et il faut en tirer toutes les conséquences. Un retour d’expérience est prévu avec nos représentants du personnel. Un questionnaire sur le télétravail permettra de savoir comment les salariés l'ont vécu sur tous les aspects, matériels, humains, d'accès aux informations, etc. Il permettra d'alimenter les discussions pour faire évoluer nos pratiques sur le télétravail dans les prochains mois. Nous devrons trouver les bons équilibres.

Ce mode d’organisation a certes des aspects très positifs. Du jour au lendemain, il a permis de faire face à une crise sanitaire sans précédent, et il a pu révéler son efficacité. En revanche, nous avons relevé des points de vigilance : le niveau d'engagement de la part de certains salariés et le lien social, en particulier en assurant un contact permanent avec les managers et les collègues, y compris dans d'autres services. La cohésion des équipes en dépend.

Pour en savoir plus

« Maintenir les satellites de télécommunication en condition opérationnelle », vidéo du 7 avril 2020, Thales

« Assurer la continuité des activités en travaillant avec des robots », vidéo du 12 mai 2020, Thales

« Maintenir l'activité industrielle tout en répondant aux exigences sanitaires liées au Covid-19 », vidéo du 30 avril 2020, Thales

« Assurer la sécurité des collaborateurs du Groupe », vidéo du 24 juin 2020, Thales

« Le coronavirus et l'entreprise », page internet, 2020, Carsat Sud-Est

« Plan d’actions COVID 19 », nouvel outil pour aider les entreprises à réaliser l’évaluation des risques, 2020, INRS

« Covid et entreprises », FAQ, 2020, INRS

« Obligations des employeurs et des salariés en période de pandémie », Publication juridique, 2020, INRS

« Masques de protection respiratoire et risques biologiques », FAQ, 2020, INRS

« Protéger les travailleurs », page internet, 2020, Ministère du travail

« Protocole national de déconfinement pour les entreprises pour assurer la sécurité et la santé des salariés », page internet, 2020, Ministère du travail