L’employeur a l’obligation légale de protéger la santé physique et mentale de ses salariés. Les réseaux I3R PACA (créé en 2009) et I3R Corse (2013) proposent aux entreprises une liste d’Intervenants respectant le Référentiel Régional sur les Risques psychosociaux : psychologues du travail, ergonomes… Interview croisée de deux consultantes RPS : Catherine Pundik (AB consulting) et Karine Cavoit (CPTO Aix).
Comment définissez-vous les risques psychosociaux en entreprise ?
_ Karine Cavoit : A l’origine, c’est un déséquilibre entre les ressources dont dispose le salarié dans le cadre de son activité et le travail prescrit qui peut provoquer des situations stressantes : surcharge de travail, activités en urgence, arrêt de certaines activités… Souvent on identifie les facteurs de RPS à travers des dysfonctionnements organisationnels. Ils impactent la santé mentale des salariés et la performance de l’entreprise.
_ Catherine Pundik : Les RPS s’inscrivent dans la dimension collective de l’organisation du travail, les pratiques managériales, les pratiques RH. Ils peuvent être à l’origine de l’apparition de troubles psychosociaux individuels ou collectifs : stress, charge mentale, troubles musculo-squelettiques, maladies physiques ou psychiques, mais aussi l’absentéisme ou le turnover, l’épuisement, les conflits, les accidents du travail et les maladies professionnelles. Cela peut aller jusqu'à la dépression, le burnout, voire le suicide.
Certains secteurs d’activité sont-ils plus touchés que d’autres en PACA ?
_ Catherine Pundik : Tous les secteurs sont concernés. C’est plus visible quand la proximité avec le service rendu est plus grande (secteurs bancaire, médico-social,…) et dans les métiers soumis aux évolutions réglementaires ou structurelles qui engendrent des transformations. Les clients ou les patients sont de plus en plus exigeants, les situations de précarité de plus en plus importantes, ils impactent la charge mentale.
Lorsque le turnover est important, c’est souvent lié à des conditions de travail inacceptables pour les salariés. Mais dans certains secteurs d’activité, le marché de l’emploi est faible, les salariés n’ont pas de qualifications élevées, ils sont contraints de rester et de porter la souffrance en interne.
_ Karine Cavoit : Je confirme. Tous les secteurs sont impactés. On observe beaucoup de RPS dans les établissements qui accompagnent le public en difficulté. C’est peut-être lié au facteur crise, au chômage… Dans les métiers dits à risque en lien avec la défense aussi, police, gendarmerie…
Ce sont les entreprises qui font appel à vous ?
_ Karine Cavoit (photo ci-contre) : Généralement, la demande d’évaluation des risques fait suite à une alerte du médecin du travail, une mise en demeure de l’inspection du travail ou une injonction de la Carsat Sud-Est. CPTO Aix a la particularité de travailler surtout avec des TPE de moins de 10 salariés et des PME de moins de 50 salariés.
Souvent on est alerté par les délégués du personnel ou le médecin du travail. Certaines entreprises font également appel à nous pour répondre à leurs obligations légales. Le Document Unique d’évaluation des risques (DUER) doit prendre en compte les RPS.
_ Catherine Pundik : Effectivement, dans la grande majorité des cas, notre intervention est motivée par le médecin du travail, la DIRECCTE ou la Carsat Sud-Est.On observe aussi qu’il faut malheureusement attendre des situations difficiles voire extrêmes comme des suicides pour que des directions soient plus aptes à travailler avec les partenaires sociaux sur ce sujet difficile qu’est la prise en compte des RPS.
Comment se déroule une démarche RPS ?
_ Catherine Pundik (photo ci-contre) : C’est une démarche paritaire qui implique l’ensemble des acteurs de l’entreprise : direction, représentants du personnel, encadrement et salariés, en lien avec les services de santé au travail.
Elle sera suivie par un comité de pilotage paritaire et représentatif de l’entreprise. Elle débute par l’identification des facteurs de risques, au travers d’entretiens individuels ou collectifs qui portent sur tout ce qui touche à la vie et à la culture de l’entreprise. Une synthèse est restituée à l’ensemble des acteurs.
Dès lors que ce diagnostic est partagé par tous, phase primordiale, le comité de pilotage peut commencer à co-construire un plan d’actions. Certaines de ces actions donneront lieu à la création de groupes de travail internes pour implication des salariés. La mise en œuvre du plan doit être suivie par le comité de pilotage comme dans toute démarche de gestion de projet.
_ Karine Cavoit : La première des choses est de sensibiliser aux RPS l’ensemble du personnel sur l’action qui va être mise en place et de constituer un groupe de travail représentatif de toute l’entreprise : direction, représentants des services, IRP, et parfois le médecin du travail.
C’est une démarche participative. On choisit ensemble les outils pour procéder à l’évaluation des risques : questionnaires, entretien collectifs ou individuels, en fonction de la nature de la demande et de la structure. J’accompagne le groupe de travail dans l’élaboration du diagnostic, des préconisations et du plan de prévention.
Le but est d’une part mettre en place des actions correctives par rapport aux dysfonctionnements observés pouvant impacter la santé des salariés, et d’autre part de rendre les actions de prévention pérennes dans le temps.
Pouvez-vous illustrer cette démarche par une étude de cas ?
_ Catherine Pundik : Une entreprise de 40 salariés qui n'a pas d’organigramme, pas de hiérarchie clairement définie, les salariés sont livrés à eux-mêmes, les compétences managériales sont inexistantes. Le médecin du travail est très inquiet de la santé de certains salariés (arrêts maladie longue durée, etc.).
Alertée par la Carsat Sud-Est, je rencontre la Direction, j’établis un pré-diagnostic avec l’ensemble des acteurs et nous produisons une synthèse. Le plan d’actions est présenté à la Carsat Sud-Est, la médecine du travail et la DIRECCTE, qui le valident. Toute l’organisation doit être remise à plat. Il faut définir un organigramme, les responsabilités – qui fait quoi ?
À terme, l’encadrement devra suivre une formation management, et pour favoriser le dialogue social, les IRP devront suivre une formation au regard de leur rôle.
_ Karine Cavoit : Une structure médico-sociale où le changement de direction a été mal vécu par les salariés. Il a provoqué du mal-être dans l’un des deux services, celui qui accompagne socialement le public. Mise en demeure de l’inspection du travail, alerte du médecin du travail.
Je mets en place un groupe de travail représentatif et nous nous mettons d’accord sur les étapes et la méthode pour procéder à l’évaluation. Un guide d’entretien est validé par le COPIL, et je fais passer des entretiens semi directifs à l’ensemble des salariés, d’une durée de 50 minutes.
Nous procédons également à l’analyse des données sociales (nature de l’absentéisme, turnover, etc.) et travaillons sur des « situations-problèmes » identifiées. Le diagnostic met en avant la souffrance au travail, l’absence d’analyse de pratiques professionnelles, des directives parfois floues et contradictoires, etc.
Prise de conscience de la direction. Le plan d’actions, sur 1 an, s’est traduit par la nomination d’un manager de proximité, le recrutement à temps partiel d’une psychologue clinicienne pour l’analyse des pratiques et pour accompagner le public, la création de fiches de poste, de procédures de travail, d’un protocole en cas d’agression, etc.
Faites-vous un suivi du plan d’actions ?
_ Karine Cavoit : Cette entreprise m’a demandé de revenir au bout d’un an pour l’accompagner sur d’autres risques professionnels dans le cadre du DUER. Le dialogue a repris entre les deux services, j’ai ressenti un apaisement, les tensions ont diminué. Mais l’entreprise reste fragile, elle est en phase de « consolidation ».
Plus globalement dans nos interventions, la dynamique que nous mettons en place a parfois tendance à se perdre. Auparavant, CPTO Aix proposait un suivi qualité post-intervention à 6 mois. Mais les entreprises nous rappelaient un an après.
Nous avons donc proposé un accompagnement post-intervention trimestriel, pour les aider à suivre le plan d’actions. Cette disposition fonctionne bien.
_ Catherine Pundik : À court terme, l’action fait du bien. Libérer la parole des salariés crée un climat de confiance, y compris pour les dirigeants. Mais souvent le quotidien reprend le dessus. Priorité du carnet de commandes, recherche de clients…
Le plan d’actions n’est plus suivi, notamment dans les petites entreprises où les garde-fous ne sont pas là. A moyen terme, les résultats seront très liés à la volonté de la direction de mettre en œuvre le plan d’actions.
Comment maintenir cette dynamique de prévention RPS après le départ du consultant ?
_ Catherine Pundik : En s’appuyant sur des acteurs de santé externes. Dans les situations très difficiles à gérer, les échanges avec le médecin du travail ou l’inspecteur du travail sont précieux, l’accompagnement des préventeurs ou de la psychologue du travail de la Carsat Sud-Est apportent de la lucidité. Le partage d’expériences entre les entreprises mériterait également d’être développé.
À titre d’exemple : AB consulting et Act Méditerranée ont co-animé deux Ateliers RPS distincts regroupant respectivement 6 entreprises. Ces ateliers RPS alternent des temps collectifs et des temps d’accompagnement individuel. Les entreprises confrontent leurs démarches RPS, s’expriment sur leurs succès, leurs échecs.
C’est d’une grande richesse. La communication se fait en toute bienveillance. Quelques mois après la fin de ces actions, nous avons organisé fin novembre une rencontre informelle de ces 2 groupes d’entreprises qui ont pu faire un bilan de leurs expériences. A renouveler !
_ Karine Cavoit : Tout se joue au moment de la conduite de l’évaluation, lors de la phase de sensibilisation. L’objectif est de développer la culture de prévention. Cela exige la mobilisation des salariés et de la direction. La constitution du groupe de travail est déterminante. Le consultant doit réussir à créer une dynamique.
En libérant la parole, souvent les dirigeants craignent que l’on dégrade la situation, en provoquant des mouvements sociaux. D’où ce devoir de médiation, pour rassurer la direction et les salariés. Mon 1er travail est avant tout pédagogique pour expliquer les bienfaits de cette méthode à long terme. C’est une valeur ajoutée pour l’entreprise.
Y a-t-il des écueils à éviter absolument ?
_ Karine Cavoit : L’instrumentalisation. C’est pourquoi le rappel du cadre réglementaire est souvent primordial. La posture du consultant n’a pas de parti pris. Il est à l’écoute de tous les acteurs. Sa mission est de réinjecter de l’objectivité dans beaucoup d’affects. Il faut aussi savoir se remettre en question : ne pas croire que l’on est tout-puissant. Pour toutes ces raisons, la formation du consultant doit être permanente.
_ Catherine Pundik : C’est vrai, il faut être très vigilant. La démarche doit être paritaire, la plus objective possible, la rencontre avec les acteurs de l’entreprise la plus large possible. Le consultant RPS n’est pas à la recherche d’un coupable. Si un manager déviant est montré du doigt, je réponds toujours qu’on doit privilégier la dimension collective, améliorer les pratiques managériales et organisationnelles, de sorte qu’un manager déviant ne peut plus avoir sa place.
Ce qui est une approche complètement différente. Il y a un autre point essentiel : les entreprises commencent à sortir d’une vision des RPS qui seraient liés à des problèmes essentiellement de vie privée. C’est encourageant. Dans le cas d’un suicide ou d’une dépression, la direction de l’entreprise aurait tendance à vouloir se défaire de toute responsabilité.
Mon rôle est de l’accompagner et de l’outiller pour questionner et remettre en cause l’organisation du travail et le fonctionnement de son entreprise en toute objectivité pour prévenir d’autres situations difficiles. Et l’on sent souvent alors le déni dans lequel se trouvent de nombreux dirigeants et cadres de leur propre exposition aux RPS. Et là se situe un enjeu majeur de la prévention des RPS !
Les consultants du réseau I3R PACA se réunissent 4 fois par an. Que retirez-vous de ces échanges ?
_ Karine Cavoit : Beaucoup de bien. Les consultants se rencontrent, avec une vraie volonté de partager des études de cas. En tant que psychologue du travail, je peux perfectionner mes interventions en entreprise. Ce réseau permet aussi de garder le lien avec les acteurs institutionnels : Carsat Sud-Est, DIRECCTE Paca, ACT Méditerranée, Mutualité Sociale Agricole. Ils m’accompagnent sur certaines évaluations. L’intelligence se doit d’être collective aujourd’hui.
_ Catherine Pundik : Le réseau I3R PACA regroupe des parcours et des professions très différents : ergonomes, psychologues du travail, consultants en organisation et tous les acteurs de la santé au travail. Les échanges autour de cas particuliers en entreprise sont forcément enrichissants pour nous tous.
En savoir plus
- Votre contact Carsat Sud-Est :
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- Réseau i3R Corse
- Dispositif d’Aide Financière Simplifiée régional 2015-2016
- L’accompagnement de la Carsat
- Dossier sur les risques psychosociaux, INRS.
- Évaluer les facteurs de risques psychosociaux : l'outil RPS-DU, INRS 2013 (ED 6140).