Dans le sillage de la journée des femmes, le Mag Solutions Prévention part à la rencontre de Tamara Malardé, responsable QHSE chez un grand opérateur de terminal à conteneurs à Fos-Sur-Mer. Présentation de son parcours et de sa démarche de prévention des risques professionnels. Avec toutes les entreprises de manutention du bassin Ouest du Port, elle participe à l’harmonisation des bonnes pratiques.

Vous évoluez dans un univers où historiquement la fonction sécurité s’apprenait sur le terrain. Comment devient-on responsable QHSE dans une entreprise portuaire quand on est une femme ? Quel est votre cursus scolaire ?

A la base, j’ai une formation universitaire : DEUG Biochimie à Nîmes et Licence professionnelle Biotechnologies à Marseille Luminy, qui intégrait déjà toute une partie sur les normes ISO et les bonnes pratiques en laboratoire. Mon premier stage, je l’ai fait dans une cuisine centrale, où j’ai pu mettre en pratique les règles d’hygiène, la démarche HACCP (Hazard Analysis Critical Control Point), etc. Après une maîtrise en microbiologie, j’avais besoin de raccrocher avec les normes, et donc j’ai préparé un master « Analyse & Qualité » au Campus St Jérôme. Cet enseignement générique couvre toutes les normes ISO : 9001, 14001, OHSAS... 

Pour garder le contact avec l’entreprise, j’ai travaillé en alternance les 12 derniers mois en milieu industriel, chez CMI Tech5i/Pastor à Port-de-Bouc et Fos-sur-Mer. C’est de là que date mon lien avec le Port autonome. On travaillait principalement comme sous-traitant d’ArcelorMittal. Par la suite, CMI a ouvert un nouvel atelier de tuyauterie à Martigues et ils m’ont rappelé. Pendant 8 ans, j’ai été le responsable Qualité & Sécurité sur ce site, essentiellement dans la pétrochimie. Et puis j’ai entendu parler d’une création de poste QHSE chez Seayard. C’était au moment où ils achevaient le chantier de construction du terminal à conteneurs Nord 2XL, au niveau de la Darse 2. J’ai été recrutée sur leur site.

Que représente Seayard aujourd'hui ? À l’origine, c’était une entreprise de 5 personnes qui fait maintenant partie d’un groupe leader mondial sur le marché des conteneurs.

Cette entreprise familiale créée en 1997 a grandi au fil des ans. En 2010, Seayard est désigné opérateur de terminal par MSC après que ce dernier ait signé une concession avec le port pour la construction et l’exploitation d’un nouveau terminal à conteneurs pour une durée de 35 ans. TIL (le bras portuaire du groupe MSC) devient actionnaire à 50%. Avec la réforme portuaire en 2011, Seayard intègre une partie du personnel du Grand Port Maritime de Marseille (GPMM) et internalise la maintenance et la réparation des engins de manutention.

En 2013, l’actionnariat a évolué : 50 % TIL (inchangé), 42 % APM Terminals (filiale du Groupe Maersk), 8 % COSCO. Seayard aujourd'hui, c’est un effectif de 180 salariés mensuels, une vingtaine d’escales par semaine (barges et navires), entre 23 000 et 25 000 conteneurs sont traités par mois. La flotte de matériels est constamment renouvelée : 5 portiques (dont 2 de 75 tonnes), 30 cavaliers gerbeurs, 4 chariots élévateurs de 16 à 45 tonnes…

Quelles sont les premières actions de prévention que vous avez mises en œuvre ?

Quand je suis arrivée en avril 2013, Seayard était une entreprise nouvellement installée sur le terminal 2XL qui était opérationnel depuis seulement un an. Suite à la réforme portuaire, l’effectif avait considérablement augmenté, passant progressivement de 36 à 177 mensuels qui travaillent sur site : dockers, grutiers portiqueurs, mainteneurs, agents administratifs et d’exploitation, auxquels s’ajoute une main d’œuvre externe issue du GEMFOS (Groupement des Employeurs de Fos-sur-Mer), soit 80 à 100 dockers intermittents par jour en fonction des pics d’activité.

Il y avait un gap entre la culture Prévention telle que je l’avais connue dans la pétrochimie et la manutention portuaire. Nous avons commencé par formaliser notre politique sécurité, nos procédures (les règles de conduite, le port des EPI bien sûr), mais aussi les procédures d’urgences (incendie, risque chimique, consignes en cas d’accident), notre livret d’accueil Sécurité/Sûreté, et bien sûr travaillé sur le Document unique… ce qui m’a permis de travailler avec tous les niveaux hiérarchiques et le CHSCT. Le but étant d’essayer de changer les mentalités et d’insuffler un « réflexe » sécurité mais aussi de fédérer tous les personnels autour d’un thème commun : la Santé et Sécurité des Hommes….  Et des femmes.

Comment s’articule votre démarche de prévention des risques professionnels aujourd’hui ?

Sur trois volets : technique, organisationnel et humain. Nous menons des réflexions en permanence sur l’aménagement du matériel, comme les portiques par exemple, pour qu’ils soient adaptés à l’activité des dockers et validés par les bureaux de contrôle, avec pour contrainte de ne pas perturber l’activité. Par exemple, depuis 2 ans nous avons mis en place un groupe de travail sur le risque de chute de hauteur qui réfléchit à l’aménagement du matériel. La Carsat Sud-Est participe régulièrement à ce groupe. Au niveau de l’organisation du travail, nous sommes dans un univers verbal. Il faut formaliser les procédures de travail, établir des fiches de poste, décrire les modes opératoires, et surtout mutualiser les procédures de sécurité dans toutes les entreprises de manutention sur le Port. Enfin, le volet formation est riche, avec la formation des salariés, les référentiels de formation, les formations à la conduite…

Il y a beaucoup de recyclage. Les dockers du Golfe de Fos ont un organisme de formation : l’IFMMP (Institut de formation des métiers de la manutention portuaire) où ce sont les dockers qui enseignent aux dockers. Aujourd'hui, il existe des certificats de qualification professionnelle pour les dockers, CQP (Certificat de Qualification Professionnelle) de niveau 1, contremaître, jusqu'à chef de navire. Je peux être amenée à transmettre à l’IFMMP de nouvelles procédures, règles de circulation ou de nouvelles mesures de prévention à mettre en œuvre faisant suite aux analyses d’accidents du travail. Par ailleurs, il est important de développer la formation avec les organismes externes : SST (Sauveteur Secouriste du Travail), Equipier de Première Intervention, CACES (Certificat d'aptitude à la conduite en sécurité) pour la conduite de chariot, de nacelle…, habilitations électriques pour le personnel de maintenance, etc. Un plan de formation est défini chaque année.

Quels sont vos leviers pour mutualiser les procédures au niveau du Port ?

Nous travaillons conjointement avec le CPHS (Comité Paritaire d’Hygiène et de Sécurité) qui regroupe les CHSCT du GEMFOS et des cinq entreprises de manutention à Fos : Seayard, Eurofos, Carfos, Somarcid et Nicolas Frères. Ce qui compte, c’est de fédérer nos actions au niveau de la Sécurité sur toute la zone de manutention portuaire à Fos. Pour cela, nous établissons des règles communes, intégrant par exemple les contraintes liées aux arrêts d’exploitation et la mise en place de procédures informatiques qui soient lisibles sur les postes de conduite des cavaliers.

Nous essayons de mutualiser les moyens. En cas d’accident, nous devons harmoniser les matériels dans toutes les entreprises de manutention pour secourir les personnes. Le GEMFOS dispose de près de 500 dockers. C’est le même personnel qui vient travailler chez Seayard ou Eurofos. Nos procédures de travail sont quasiment identiques à celles de nos concurrents, que ce soit au niveau du chargement ou de la conduite d’un cavalier gerbeur par exemple. Par contre, nous devons harmoniser les procédures de sécurité.

Avez-vous des pistes de progrès prioritaires ?

En matière de prévention et de sensibilisation, il y en a toujours ! Il s’agit avant tout de promouvoir l’amélioration continue. La culture Sécurité se travaille au quotidien. Il faut toujours être présent sur le terrain et impliquer toute la hiérarchie, jusqu'à l’opérateur. Le QHSE est un pilier entre la Direction et les dockers. Nous travaillons ensemble sur ces problématiques, en essayant d’être accessibles de part et d’autre. La communication avec les salariés est un vecteur important de la fonction QHSE, en direction du personnel permanent comme du personnel intermittent. Parmi les sujets qui me tiennent à cœur, j’évoquerais les nuisances provoquées par nos voisins. Les dockers et nos mainteneurs sont parfois incommodés par des odeurs sur le quai. L’environnement est très industrialisé à Fos.

Nous essayons de mettre en place des procédures communes au sein du CPHS : une procédure d’alerte avec une sirène, une procédure de confinement, et le cas échéant, l’orientation vers le centre médical. C'est l’un de nos enjeux cette année : communiquer sur le risque chimique, programmer des exercices, mutualiser les sirènes... Le bruit au poste de travail est également une priorité. Des mesures ont été effectuées par la Carsat Sud-Est et la médecine du travail afin de réduire les nuisances sonores sur les machines ou intervenir sur les EPI. Nous testons actuellement des bouchons moulés en remplacement des bouchons mousse.

L’actionnariat a beaucoup évolué chez Seayard. Cette nouvelle organisation a-t-elle un impact sur la prévention ?

Clairement oui. Nos actionnaires sont présents dans le monde entier. Structurés, organisés, ils nous font bénéficier de leur vision globale et de leurs moyens qui sont considérables. Nous sommes audités en moyenne trois fois par an conjointement avec nos deux actionnaires principaux TIL et APMT. L’an dernier par exemple, nous avons travaillé sur le réaménagement de la zone poids lourds, les interactions hommes à pied/machines/camions, avec la mise en place de bornes pour limiter les déplacements des piétons.

Ces audits internes permettent à la fois de contrôler l’avancement de nos plans d’actions (mesures correctives, pilotes, délais, suivi, mesurage de l’efficacité…) et d’apporter un appui en termes de compétences et de diversité des bonnes pratiques issues des ports du monde entier. Si un problème spécifique se présente à Fos, le responsable HSE au niveau Europe pourra me conseiller et être une source d’informations précieuses grâce à son réseau.

De plus en plus de postes de responsables Sécurité s’ouvrent aux femmes. Pourquoi à votre avis ?

Sur le terrain, je suis la seule femme, hormis les ship-planneuses quand elles amènent à bord les plans définitifs des conteneurs à manutentionner. Une femme aborde peut-être différemment les sujets. Le dialogue est probablement plus doux, même si parfois on peut dire les choses frontalement. Je ne me positionne jamais dans un rapport de force. Je privilégie l’écoute, le contact, la communication. J’essaie toujours de me rendre accessible pour mieux faire passer les choses. Un homme aborderait peut-être la situation différemment. Une relation virile impliquerait des rapports de force.

Seayard, Fos-sur-Mer (13270)

Opérateur de terminal, Fos 2XL

Un quai de 860 mètres autorisant jusqu’à 4 accostages simultanés

177 salariés mensuels, jusqu'à 100 intermittents par jour

Une vingtaine d’escales par semaine, entre 23 000 et 25 000 conteneurs par mois

Engagement : 28 conteneurs par heure par portique, réception et livraison des conteneurs en 28 minutes

Moyens techniques : 5 portiques (dont 2 de 75 tonnes), 30 cavaliers gerbeurs, 4 chariots élévateurs de 16 à 45 tonnes

Chiffre d'affaires 2016 : 57 682 949 €

Actionnariat : 50 % TIL/MSC, 42 % APM Terminals, 8 % COSCO

En savoir plus :

ED 943 Les manutentions portuaires : paysage institutionnel et réglementation applicable. INRS, 2005.