Les troubles musculo-squelettiques sont les maladies professionnelles reconnues les plus fréquentes. Mais que se passe-t-il quand une pathologie ne figure pas dans les tableaux de maladies professionnelles ou si elle ne répond pas à tous les critères administratifs ? Réponse de Gilles Bouvenot, professeur émérite à la Faculté de médecine de Marseille, membre de l’Académie nationale de médecine. Il siège au Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP PACA-Corse) depuis 2014.
Quel est votre rôle au sein du CRRMP ?
J’y interviens pour les pathologies liées aux TMS. Le Comité se réunit deux à trois demi-journées par mois pour examiner chaque fois une vingtaine de demandes de reconnaissance de maladie professionnelle. Chaque dossier d’assuré est préparé minutieusement par un médecin-conseil de l’assurance maladie.
Il contient une synthèse de l’état médical du patient, mais aussi des données administratives comportant en particulier des informations sur le poste de travail avec les déclarations de l’employeur et du salarié qui peuvent être contradictoires. De son côté, l’ingénieur conseil de la Carsat Sud-Est décrit très précisément le poste de travail physique, les contraintes, la gestuelle, en particulier la répétitivité des gestes, les postures maintenues, les appuis prolongés, autant de données qui n’appartiennent pas au domaine de la médecine.
Le Comité demande mon avis « sapiteur » de spécialiste. En tant que rhumatologue exerçant depuis fort longtemps, j’apporte un avis circonstancié sur le contenu médical du dossier.
Comment définissez-vous un trouble musculo-squelettique ?
Il s’agit d’une symptomatologie généralement sous-tendue par des lésions intéressant les tendons, les muscles, les ligaments, certains nerfs piégés par des ligaments, les cartilages de type ménisque et les cartilages articulaires d’encroûtement, et puis l’os bien sûr. Autrement dit, les TMS intéressent les tissus mous autour de l’os et des articulations, mais aussi l’os.
Quelles sont les pathologies TMS les plus fréquentes que vous rencontrez au CRRMP ?
Des pathologies péri-articulaires : les troubles ligamentaires, tendineux et également neurologiques. Les tendinites de l’épaule sont les plus fréquentes. Viennent ensuite les épicondylites (au coude), les canaux carpiens (main) et enfin les sciatiques.
Très peu de pathologies sont liées à des vibrations. Et je n’ai pas encore vu de maladie professionnelle osseuse. L’ostéonécrose par exemple. Cette maladie figure dans le tableau 69 des affections provoquées par les vibrations et chocs. Dans le monde du travail, les pathologies osseuses sont en effet le plus souvent aiguës, résultant d’accidents du travail.
Tous les TMS sont-ils reconnus ?
Les pathologies du rachis cervical, c'est-à-dire de la base du crâne au bas du cou, ne figurent pas dans les tableaux du régime général. Ni celles de la hanche. Et en dehors de la tendinite située au niveau du tendon d'Achille, la tendinite achilléenne, la pathologie péri-articulaire du pied ne figure pas non plus dans le tableau 57.
Le CRRMP peut reconnaître une maladie professionnelle alors même que toutes les conditions réglementaires ne sont pas remplies. Quelles sont les modalités de reconnaissance ?
C’est justement ce qui justifie l’existence de ce Comité, dans l’intérêt des assurés. Deux cas de figure peuvent se présenter. Dans le premier cas, la maladie est identifiée dans un tableau du régime général, mais certaines conditions ne sont pas remplies : la durée d’exposition, le délai de prise en charge ou la gestuelle.
Notre rôle est de faire preuve de discernement, et pour cela, nous avons besoin d’une analyse fine du poste de travail. Dans le second cas, la maladie ne figure pas dans un tableau. Le travail du Comité consiste alors à établir un lien direct et essentiel entre la pathologie et le travail exercé, afin que la maladie puisse être reconnue.
Y a t-il des points de difficultés ?
La diversité des tâches pour une même profession. Nous instruisons de nombreux dossiers de salariés qui font à la fois de l’accueil client, de la saisie informatique, de la préparation de stands ou de rayons. Nous essayons de bien comprendre, au cas par cas, ce que fait le demandeur.
Le dossier d’un chauffeur-livreur doit comporter, de ce point de vue, des informations sur le temps passé assis à son volant, les appareillages dont il dispose pour charger et décharger, le poids moyen des colis qu’il livre.
Nous essayons de « quantifier » les tâches. Pour une tendinite de l’épaule, l’ingénieur conseil détermine la durée journalière de maintien du bras levé au dessus d’un certain angle, l’angle d’inclinaison, en tenant compte du temps de travail, un temps partiel le cas échéant.
Est-il vrai que l’hormone du stress agit sur les tissus mous ?
Dans le cadre du CRRMP TMS, on ne m’a encore jamais demandé de tenir compte du facteur stress dans un dossier. Faudrait-il le faire ? De mon point de vue, c’est un domaine qui n’est pas encore stabilisé. Les connaissances ne sont pas définitivement acquises et je me garderais bien de prendre une position qui ne serait pas suffisamment fondée.
Ce ne doit pas être toujours évident de distinguer l’activité professionnelle de l’activité domestique.
Nous nous basons essentiellement sur la répétitivité et sur les postures maintenues qui sont suscitées par le travail. Dans la vie de tous les jours, vous vous arrêtez dès que vous ressentez une douleur. Dans le travail, certaines cadences sont imposées. Il appartient au dossier administratif de les déterminer.
Je reconnais que cela peut parfois être difficile. J’exerce la rhumatologie depuis 40 ans et j’ai pu observer tous les cas de TMS dans toutes les professions. On peut voir des périarthrites de l’épaule (pathologie de la coiffe des rotateurs) chez des personnes qui font des mots croisés ou du tennis !
Et de nos jours, certains de nos concitoyens se livrent pendant leurs loisirs à des activités sportives sans dominer les bons gestes, parce qu’ils n’y ont pas été formés.
Un TMS est-il réversible ?
Il faut distinguer les TMS aigus des TMS chroniques. Par définition, le TMS aigu est réversible. Trois mois étant le seuil au-delà duquel le TMS doit être considéré comme chronique. Mais un TMS chronique peut régresser, et certains sont réversibles. On peut guérir une tendinite à l’épaule en injectant un dérivé cortisonique.
L’inflammation du tendon peut disparaître complètement et ne plus jamais se manifester. Par contre, une tendinite avec déchirure du tendon ne guérit généralement pas. Elle peut être améliorée par infiltration. Mais si la déchirure est importante, elle devra être traitée par la chirurgie.
De même pour un syndrome du canal carpien, lorsque le nerf médian au poignet est comprimé par un ligament (le ligament annulaire du carpe), la compression ne va pas disparaître spontanément. Seule une intervention chirurgicale permet de sectionner le ligament qui comprime, afin de libérer le nerf.
De la même manière, il est possible chirurgicalement de libérer le nerf cubital au coude.
Cette possibilité de guérison est-elle prise en compte dans la reconnaissance d’une maladie professionnelle ?
Absolument pas. Dans le cadre du CRRMP, nous n’avons pas à juger du fait qu’un TMS est guérissable ou pas. Notre rôle est de déterminer si les troubles présentés par le patient sont en relation avec son activité professionnelle. Si un patient refuse de se faire opérer pour un syndrome du canal carpien, nous n’allons pas l’y obliger.
Nous n’avons pas ce pouvoir ! Notre rôle est seulement de juger de l’état d’un patient à un moment donné, quel que soit l’avenir envisagé.
En savoir plus :
Tableaux 57, 69, 79, 97 et 98 des maladies professionnelles : guide d’accès et commentaires.