Depuis 2012, Centrale Marseille intègre dans sa formation initiale les bases essentielles en santé et sécurité au travail. Laetitia Piet, professeur agrégé de sciences sociales, a piloté ce projet transverse en partenariat avec la Carsat Sud-Est. Interview, suivie d’un zoom sur le simulateur DYNEO par Cécile Loubet, responsable de la filière métiers production et logistique.

Quels postes occuperont les futurs diplômés de Centrale Marseille ?

_ Laëtitia Piet : Chaque année, l’École accueille une promotion de 250 à 300 étudiants pour suivre la formation initiale d’ingénieur généraliste. Pendant 3 ans, ils découvrent un large spectre de disciplines et développent des compétences à la fois scientifiques, techniques, managériales et organisationnelles.

En 3ème année, ils affinent leur projet professionnel et choisissent de se spécialiser dans une discipline et dans un secteur d’activité. De la finance à l’industrie lourde, en passant par l’ingénierie des services, du BTP, des transports ou du conseil, ils occuperont des postes à responsabilité dans la production industrielle, les fonctions opérationnelles ou de support.

Pourquoi Centrale Marseille s’est-elle engagée dans une démarche d’enseignement en santé et sécurité au travail ?

En 2012, Centrale Marseille a été sollicitée par la Carsat Sud-Est pour intégrer la prévention des risques professionnels dans la formation initiale. Lionel Evesque, ingénieur conseil régional, et Bertrand Caubrière, ingénieur conseil, sont venus présenter leur projet à la direction générale de Centrale Marseille. Cette proposition a fait écho auprès de la direction et des équipes. La responsabilité sociétale de l’ingénieur est partie intégrante de l’identité programmatique de l’École.

Comment avez-vous mis en œuvre cette formation ?

Une partie de mon enseignement en management et sociologie du travail comprenait déjà une réflexion sur les liens entre l’organisation et la santé au travail, axée surtout sur le stress professionnel et les risques psychosociaux. D’autre part, la méthodologie d’analyse des risques était enseignée dans le cours de systémique et management intégré.

Nous avons monté une équipe pluridisciplinaire de cinq enseignants en conception mécanique, gestion industrielle, chimie, et donc management intégré et sociologie du travail. La diversité de nos spécialités a fait sens. Elle a enrichi la façon de concevoir cette formation transverse.

En 2015, Centrale Marseille a renouvelé sa convention de partenariat avec la Carsat Sud-Est. Quel a été son rôle dans l’élaboration de ce projet ?

La Carsat Sud-Est n’a pas été prescriptive. Elle nous a proposé d’intégrer le référentiel de compétences BES&ST (Bases essentielles en santé et sécurité au travail), qui constitue d’ailleurs l’un des fondamentaux du texte cadre des orientations de la CTI (Commission des titres d’ingénieur).

Ce référentiel est ouvert, il nous a beaucoup aidé à structurer cette formation, et aussi à la compléter, en particulier au niveau des acteurs et des enjeux de la sécurité au travail. Avec la Carsat Sud-Est, nous avons enrichi des modules spécifiques, que ce soit sur les méthodologies d’analyse de risques plus proches de l’ingénierie, ou sur les conséquences de l’organisation du travail sur la santé des salariés.

Comment se déroule cette formation et quel est son contenu ?

À la fin de la 1ère année, les étudiants effectuent un stage d’exécution en entreprise, d’une durée de 4 à 8 semaines. Le rapport d’observation décrit les conditions d’accueil et les risques professionnels auxquels ils ont pu être exposés à leur poste de travail, ainsi que les mesures de prévention associées. Ce document séparé est évalué par l’équipe pédagogique.

En 2ème année, il sert de base à une analyse des risques et des accidents du travail. Parallèlement, les principes généraux de prévention sont développés à travers des cours et des Travaux Dirigés qui sont intégrés à l’Unité d’Enseignement en sciences humaines et sociales.

L’intégration de ces problématiques dans une UE était nécessaire pour évaluer les élèves. Cette UE comporte aussi un volet sur l’analyse des situations de travail dans l’organisation. Un psychologue du travail intervient sur les RPS. On a toujours le souci d’intégrer différentes dimensions.

Quelle est la part de la prévention dans cette évaluation ?

À partir d’un accident du travail, les élèves doivent préconiser des mesures de prévention et en discuter la pertinence sur la base des principes généraux de prévention. L’évaluation comprend aussi un TP sur l’analyse des risques psychosociaux liés à des changements organisationnels. Les thèmes des RPS et de la sécurité au travail contribuent à 70% de l’évaluation totale de l’UE Sciences humaines et sociales.

Les élèves ingénieurs ont-ils conscience des risques professionnels en entreprise ? Comment réagissent-ils à cet enseignement ?

Très bien. La plupart n’ont pas besoin de la contrainte de l’évaluation pour être convaincus de l’intérêt de cette thématique ! Elle les touche parfois personnellement, parce qu’eux-mêmes connaissent des gens qui ont été confrontés à des situations d’accident du travail ou de pénibilité.

Je suis certaine que dès qu’ils occuperont un poste en entreprise, ils découvriront la nécessité de mettre en œuvre ce qu’on leur a transmis. D’ailleurs, le fait d’enclencher la formation par une expérience vécue en entreprise les aide à prendre conscience de la globalité de cette démarche.

Toute la difficulté pour nous est de ne pas tomber dans un tableau « sinistré » de l’environnement de travail. Ces jeunes ont hâte de travailler en entreprise, ils en ont une vision plutôt positive. Il s’agit de leur délivrer la capacité à considérer une situation de travail sous tous ses angles, économiques, humains, organisationnels et juridiques. C’est une réflexion globale qui doit promouvoir des conditions de travail satisfaisantes, motivantes et productrices de santé pour l’ensemble des salariés.

Votre approche pédagogique est pluridisciplinaire, basée sur le vécu des situations lors des stages, une méthodologie d’évaluation des risques, l’analyse des accidents du travail. Les étudiants ont-ils d’autres outils à leur disposition ?

En 3ème année, les élèves se spécialisent dans certaines de ces thématiques. Par exemple, dans le cadre de la filière métier « bureau d’études et conception », un groupe a travaillé sur un projet de cobotique, notamment pour faciliter les activités de manutention manuelle.

Dans la filière métier « production et logistique », des tables rondes sont organisées chaque année avec des entreprises ou des experts sur des thèmes spécifiques : les risques psychosociaux dans les nouvelles organisations du travail, l’ergonomie du poste de travail, la notion d’entreprise « libérée » en lien avec un management moins marqué par la hiérarchie…

Il existe aussi des enseignements plus expérimentaux. Centrale Marseille collabore avec le Campus Arts & Métiers d’Aix-en-Provence à l’outil de mise en situation DYNEO (Dynamique excellence opérationnelle). Ma collègue Cécile Loubet, responsable de la filière métier production et logistique, forme les étudiants dans cette usine école (lire encadré ci-dessous).

Envisagez-vous d’autres collaborations, des évolutions pour améliorer cet enseignement ?

Oui, nous souhaiterions mieux associer les entreprises régionales. L’apprentissage par projet avec un client extérieur représente 60 heures en 2ème année et 100 heures en 3ème année. L’idée serait de proposer des sujets en rapport avec la thématique de la prévention.

Cela suppose que les entreprises fassent confiance aux étudiants pour leur laisser l’opportunité de confronter leurs connaissances à des situations de travail réelles. Par exemple, en 3ème année de mécanique, l’analyse de l’intégration d’un prototype dans une situation de travail. Ou une démarche de bien-être au travail dans le cadre d’un projet d’audit et conseil.

La participation des étudiants à l’élaboration du diagnostic et des préconisations pourrait aider un comité de direction ou un CHSCT. Ces approches terrain, ou ces observations d’entreprises, auraient leur vertu pour être plus proches de l’expérience vécue.

Zoom sur le simulateur DYNEO

par Cécile Loubet, responsable de la filière métier production et logistique, École Centrale de Marseille.

n17 itw dyneo mini« DYNEO est un pôle d’excellence opérationnelle en PACA monté en partenariat avec des écoles d’ingénieurs (Campus Arts & Métiers d’Aix-en-Provence et Centrale Marseille), des entreprises (STMicroelectronics, Airbus Helicopters, Bonnans) et l’AFPI Provence pour la partie Formation continue des Professionnels de l'Industrie. Son objectif est triple : la formation continue et initiale, l’accompagnement des PME vers l’excellence opérationnelle et l’activité de recherche.

Cette usine école fonctionne depuis 2013 dans les locaux du Campus Arts & Métiers d’Aix-en-Provence. Des runs de production sont lancés par périodes de 10 minutes. Les élèves arrivent sans formation. Ils apportent les concepts théoriques progressivement, qu’ils appliquent sous forme d’ateliers de progrès, de chantiers d’amélioration.

Peu à peu, l’usine se réorganise, dans un processus d’amélioration continue. On ne simule pas de situations dangereuses. Les situations de travail appellent plusieurs thèmes de prévention : bien-être au travail, motivation, travail en qualité, ergonomie des postes, TMS… Ils sont abordés sous forme de questionnements ou de débats.

Il n'y a aucun intervenant, ergonome ou autre. Mais les élèves qui suivent le cours d’ergonomie en 3ème année font tout de suite le lien. Ils ont un sens de l’observation vraiment différent, plus accru sur les situations de travail, les dangers et les risques. En formation continue, c’est différent. Ce sont des professionnels, et donc ils sont déjà très sensibilisés et attentifs. »

École Centrale de Marseille

Création : 2003.

92 enseignants permanents, 90 personnels IATOS, 260 intervenants extérieurs, 93 enseignants-chercheurs.

870 élèves ingénieurs, 29 % femmes, 22 % internationaux.

Insertion professionnelle : 100 % cadre, 17 % emploi en PACA, 47 % emploi en Ile-de-France.

Salaire moyen brut annuel d'embauche : 39 200 €.

En savoir plus :

Validation de la démarche « Santé et sécurité au travail » pour la campagne 2016-2017, CTI, 10 février 2016.

Dossier Enseignement supérieur : la Santé au travail en débat dans les cursus, Solutions Prévention Le Mag, avril 2016.

La prévention au programme - Laëtitia Piet dans Travail & Sécurité n°770, mars 2016.