Laurent Abate a intégré la Carsat Sud-Est en 2008 et il a obtenu son agrément définitif de contrôleur de sécurité en juin 2009. Gros plan sur un métier encore trop souvent méconnu des entreprises.

Quels sont vos objectifs ?

Un contrôleur de sécurité affecté à un « secteur d’intervention » assiste et accompagne les entreprises dans leur démarche de prévention en leur apportant de l’expertise et des outils, y compris financiers. L’objectif est de diminuer la sinistralité, c'est-à-dire le nombre et la gravité des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Comment sont définies vos missions ?

Notre portefeuille d’activité est défini pour l’essentiel par les priorités nationales et régionales. Au niveau national, des conventions d'objectifs et de gestion (COG) passées entre la CNAMTS et l’Etat définissent les priorités sur 4 ans.

Pour la période 2014-2017, elles visent la prévention des chutes de hauteur dans le secteur du BTP, les troubles musculo-squelettiques (TMS) et le risque CMR (substances Cancérogènes, Mutagènes et Reprotoxiques), plus précisément l’usage du perchloréthylène dans les pressings, les fumées de soudage (métallerie, serrurerie, chaudronnerie, armaturiers) et le styrène (coques de piscines, nautisme).

Les priorités régionales sont définies en fonction des activités qui sont plus accidentogènes que la moyenne nationale. En PACA-Corse, ce sont : le Transport Routier de Marchandises (TRM), les maisons de retraite (EHPAD), les magasins de bricolage, le secteur Cosmétique et Parfumerie, la restauration collective et l’activité de réparation navale. Enfin, une part de ce portefeuille est réservée aux entreprises à forte sinistralité dans chaque secteur géographique.

Pour ma part, on retrouve ces entreprises dans la grande distribution, la logistique et l’intérim.

Il y a environ 45 préventeurs (contrôleurs de sécurité) à la Carsat Sud-Est. Comment sont constitués vos portefeuilles d’activité ?

Chaque action prioritaire est pilotée par un ingénieur-conseil (chef de projet). La CNAMTS  et chacun d’entre nous repèrent  les sections d’établissement les plus accidentogènes en PACA-Corse. Elles sont réparties par département entre les préventeurs qui interviennent chacun dans un secteur géographique délimité. Nous sommes 4 préventeurs dans le Vaucluse. J’interviens sur l’axe Avignon-Carpentras.

Quelles sont vos modalités d’intervention dans les entreprises ?

Les visites en entreprises sont essentielles. Elles nous permettent de constater réellement les risques auxquels sont exposés les salariés. Souvent il y a un grand delta entre ce qui est prescrit et les situations réelles de travail. Les entreprises peuvent aussi nous solliciter spontanément pour du conseil.

En accord avec nos managers, nous pouvons intervenir sur des sujets spécifiques en comité de direction ou au CHSCT. Nous sommes habilités de droit à participer aux CHSCT, même dans les entreprises qui ne sont pas dans nos cibles. Récemment, je suis intervenu pour une plateforme téléphonique.

Nous intervenons aussi lorsque survient un accident du travail grave ou mortel (obligation d’enquête). Notre rôle est d’analyser les faits, d’enquêter sur les causes, de définir des préconisations et de s’assurer de leur mise en œuvre. Enfin, nous contrôlons les chantiers de BTP.

Ces visites, le plus souvent inopinées, sont ciblées d’après les déclarations préalables du maître d’ouvrage ou sur information. Il est plus efficace d’imposer un niveau d’exigence dès le démarrage du chantier.

Concrètement, comment se déroule l’accompagnement d’une entreprise ?

Ma feuille de route est constituée d’un portefeuille et de différents outils pour chaque type d’action. Je prends rendez-vous avec le chef d’entreprise pour présenter dans un premier temps mon organisme, mes missions, mon action et annoncer mes objectifs lors de la visite.

C’est un partenariat de longue haleine. Le technicien de prévention va engager une action de prévention sur plusieurs années. Ensuite, à l’aide notamment d’une grille d’évaluation, j’effectue un état des lieux. Cette première visite est en général suivie d’un courrier de préconisations à mettre en œuvre sous un certain délai.

Certaines entreprises les prennent en compte, d’autres moins. Les difficultés économiques sont souvent invoquées. Nous devons en tenir compte et progresser par paliers. Au moment de l’état des lieux, je dis toujours à l’entreprise : « vous êtes à telle marche de la prévention des risques professionnels.

Je vais essayer de vous faire progresser de quelques marches. » À l’issue d’une période de quatre ans, si la sinistralité de l’entreprise n’a pas baissé significativement, le suivi continue. J’accompagne certaines entreprises depuis 6 ans.

La Carsat Sud-Est met de nombreux outils à la disposition des entreprises.

La Carsat dispose d’un large catalogue de formation inter entreprises. Nous incitons les entreprises à faire monter en compétence des salariés pour qu’ils animent la démarche de prévention. La Carsat Sud-Est dispose aussi d’un service Ingénierie de Prévention qui intervient en particulier lors de la conception des lieux et situations de travail.

Si un accompagnement au changement s’avère nécessaire, nous pouvons également faire intervenir le psychologue du travail de la Direction des Risques Professionnels.

Enfin, le Laboratoire InterRégional de Chimie (LIRC) peut effectuer des mesures et des prélèvements  afin de vérifier le niveau d’exposition des salariés. Il fournit des conseils, des préconisations techniques, notamment pour l’achat d’équipements.

Que se passe-t-il si une entreprise refuse de mettre en œuvre vos préconisations ?

Après la seconde visite, un second courrier est adressé à l’établissement. Si certaines mesures demandées n’ont pas été mises en œuvre sous le délai fixé, l’établissement peut recevoir un courrier d’injonction.

En cas de non-exécution à échéance du délai d’exécution (durée variable selon le risque constaté et les mesures préconisées), le taux de cotisation AT/MP peut être majoré de 25%. E cas de persistance du risque, ce taux pourra être majoré jusqu'à 200%.

Cet outil est efficace. Par exemple, dans les EHPAD, nous demandons la mise en place de rails de manutention pour soulever les résidents en situation d’invalidité. Si l’établissement ne les met pas en place, nous demandons par voie d’injonction leur mise à disposition, ou tout autre moyen d’efficacité équivalente, dans un délai de plusieurs mois.

Il existe aussi des incitations financières positives.

Oui, elles sont de deux types. Pour les entreprises de moins de 50 salariés, les aides financières simplifiées (AFS) recoupent les priorités nationales et régionales. Notre rôle est de relayer l’information sur le terrain. Charge à l’entreprise de collecter des devis. La demande est validée sur présentation de justificatifs et de documents techniques.

Pour les entreprises de moins de 200 salariés, nous pouvons établir un contrat de prévention, à condition qu’une convention nationale d’objectifs (CNO) ait été signée au niveau national entre la CNAMTS et les organisations professionnelles du secteur d’activité concerné.

De 1 à 3 ans, ce contrat permet à l’entreprise de bénéficier d’une aide pouvant aller de 20 à 25%  de la somme investie dans du matériel ou de la formation, et il est plafonné à 40 000 euros de participation. Nous effectuons le diagnostic de prévention, le plan d’actions, le planning de mise en œuvre et le suivi.

L’entreprise collecte des devis, le préventeur évalue un pourcentage de participation. C’est un engagement réciproque : l’entreprise s’engage à mettre en œuvre tous les points qui ont été définis et validés par les deux partenaires avant la date d’échéance du contrat et la Carsat s’engage à financer les sommes prévues contractuellement.

Si un investissement n’a pas été réalisé au terme du contrat, l’entreprise doit être en mesure de prouver que le risque a disparu, sinon elle doit le réaliser, mais sans l’apport de la subvention.

Vos résultats sont-ils évalués ?

Un groupe de travail est dédié à chaque action prioritaire. Il se compose d’un correspondant pour chaque secteur géographique. Je suis correspondant EPHAD pour les départements 84, 04 et 05. Je travaille avec les correspondants du 13, 83, du 06 et de la Corse.

Afin d’intervenir au mieux dans les entreprises, nous définissons les axes d’orientation et les outils d’accompagnement. On agit dans les entreprises, on déploie et on capitalise les bonnes pratiques sous forme d’ouvrages, de notes techniques, d’articles… pour les diffuser aux collègues.

Les résultats sont remontés aux managers : taux de réalisation du portefeuille, taux d’équipement, atteinte des objectifs… Si les mesures demandées ne suffisent pas toujours à faire baisser la sinistralité, elles contribuent à ne pas l’augmenter. C’est tout le paradoxe de la prévention. Les résultats ne sont pas toujours aussi lisibles qu’on le voudrait.

Mais de mon point de vue, une entreprise dans laquelle on est intervenu pendant quatre ans, où l’on a partagé avec la Direction et les salariés (délégués du personnel, membres du CHSCT), où un animateur Sécurité a reçu une formation, où la culture de prévention a pris une véritable dimension, j’estime que le préventeur a atteint son objectif.

Lorsqu’une entreprise a réussi à devenir autonome en matière de prévention des risques professionnels, je considère que c’est un bon résultat.

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