9 accidents du travail sur 10 ont lieu véhicule à l’arrêt dans le secteur du transport routier de marchandises (TRM). Des accidents graves, voire mortels, qui peuvent être évités dès la conception des quais. Le 10 mars dernier, la Carsat Sud-Est réunissait des professionnels du secteur. État des lieux sur la sécurisation des quais en région Paca, partage d’expériences, bonnes pratiques et innovations.

Une sinistralité plus forte que dans le BTP

Les chiffres. En région Paca, la sinistralité du TRM est la plus forte de France : 1 524 accidents du travail, 150 000 jours d’arrêts, 27 maladies professionnelles réglées, 65 incapacités permanentes partielles, 6 décès (données 2012). Pour les transporteurs, le coût direct s’élève à 18 millions €. Plus de 5% de la masse salariale des TPE sont consacrées aux cotisations destinées à indemniser les victimes. 88 AT avec arrêt pour 1 000 salariés, c’est 11 points de plus que la moyenne nationale. Plus que dans le BTP.

Les risques se concentrent au moment des opérations de mise à quai et de transbordement de marchandises. Les plus graves sont les risques d’écrasement d’un piéton (lors de la manœuvre du poids lourd, entre le quai et la remorque ou entre deux véhicules) ou d’un cariste (suite au basculement de son chariot), les risques de chute de hauteur (depuis le quai ou pendant le transbordement suite au démarrage intempestif du camion ou à un défaut de frein), les chutes de plain-pied (encombrement au sol, niveleurs glissants), les risques de collision (d’un piéton avec un poids lourd).

Le plan d'action régional TRM 2014-2017

La Carsat Sud-Est a décidé d’agir en mettant en œuvre un plan d’action prévention 2014-2017. La stratégie repose sur une mobilisation de masse et le développement des partenariats (OPCA Transports PACA Corse, organisations professionnelles, service de Santé au travail, Club Prévention TRM PACA Corse). Un document de prévention a été envoyé à 1 500 TPE de la région. Des outils sont à la disposition des chefs d’entreprise (liens en fin d’article).

Au volet financier, la Carsat Sud-Est a attribué plus de 400 000 euros de subventions entre octobre 2013 et novembre 2014. Pour les entreprises de moins de 50 salariés, un nouveau BONUS TRM a été reconduit pour l’année 2015, plafonné à 20 000 €. Pour les entreprises de moins de 200 salariés, la convention nationale d’objectifs 2013-2016 ouvre droit à un contrat de prévention sur décision du Contrôleur de sécurité. Conclu sur une durée de 1 à 3 ans, l’apport peut couvrir jusqu'à 30% de l’investissement en matière de prévention (20 000 à 50 000 €) sur des aspects techniques, organisationnels et formation : achat de poids lourd, mise en sécurité des quais, formation, etc.

d dozas« Notre rôle est de mettre en mouvement les différents acteurs, de partager les retours d’expérience, de diffuser les bonnes pratiques et les évolutions techniques. » Didier Dozas, Ingénieur-Conseil, Carsat Sud-Est

Moins d’1 entreprise sur 4 en Paca a réfléchi au travail sur le quai

Dans les entreprises de plus de 20 salariés, la Carsat Sud-Est a effectué 230 visites en 2014. Elles seront suivies jusqu’en 2017. « Au niveau des transporteurs, nous avons fait beaucoup de recommandations cette année sur la mise en sécurité des quais, indique Didier Dozas, Ingénieur-Conseil, pilote du plan d’action. Il y avait nécessité de réunir les professionnels qui conçoivent et rénovent les quais, mais aussi ceux qui les utilisent ».

Concepteurs, exploitants de quais, transporteurs, équipementiers, carrossiers,… Le 10 mars, une vingtaine de professionnels ont assisté à la table ronde de la Carsat dédiée à la conception - rénovation de quais. Le but : « ouvrir les visions, échanger, mobiliser les professionnels des quais, pour en faire bénéficier les transporteurs, les donneurs d’ordres et plateformes logistiques. »

Les recommandations de la Carsat Sud-Est portent prioritairement sur :

  • L’aide en approche finale (guide-roue, feu de positionnement, marquage au sol)
  • Le système de calage des roues ou de maintien à quai des camions (pour empêcher le départ intempestif ou la dérive du camion)
  • La zone refuge de 50 cm sur quai
  • La circulation protégée des piétons (l’espacement de 1,10 m entre deux portes)
  • La protection contre les chutes hauteur (accès sécurisé au quai depuis l’extérieur, porte rideau asservi à la présence du camion, pont de liaison en position relevée)

Table ronde du 10 mars : retour d’expérience avec les professionnels

« On a tendance à être chacun très cloisonné dans son domaine, déclarait un participant. Cette table ronde est l’opportunité d’échanger entre professionnels sur des bases solides et non pas sur une simple concurrence. » Pour les équipementiers, il s’agissait « d’anticiper l’état de la réglementation et des recommandations, de façon à adapter notre stratégie et la communication avec nos clients. »

Pour un autre, ce fut une véritable prise de conscience : « J’apprends que le transport routier de marchandises est plus accidentogène que le BTP en France ! Nous devons d’abord être bien conscients qu’il y a des choses à améliorer chez nos clients, afin de leur proposer des solutions innovantes. »

Productivité et sécurité : un mariage de raison

Du côté des concepteurs de quais, on reconnaît que « si une procédure de mise à quai est établie, elle est respectée, il y a moins de casse sur les camions et les matériels, et les accidents diminuent. » Néanmoins, dans le cadre de projet géré par un contractant général, on souligne la « méconnaissance du futur exploitant. Les choix de matériels vont-ils correspondre ? »

C’est peut-être chez les petits maîtres d’ouvrage que les préconisations sont le plus difficile à faire intégrer. « La question est économique. Ils sont très éloignés de la connaissance réglementaire. » Un autre s’inquiète de la zone refuge de 50 cm. « Est-elle obligatoire ou recommandée ? » Il craint qu’on doive « créer une machine supplémentaire entre le livreur et le quai ».

Un équipementier souligne que « le client a de plus en plus besoin de sécurité. Il faut financer un système pérenne. Par exemple, le système de calage peut être attractif en termes de sécurité, d’ergonomie et d’organisation du travail. C’est aussi une question de productivité. » Le mot est lâché. « La façon dont on fabrique les quais abîme mes semi-remorques ! » lance un carrossier. Certains camions abîment mes quais ! lui rétorque-t-on. Très riches, les échanges, parfois animés, dureront tout l’après-midi.

Ils ont dit

  • Un concepteur : « Mieux vaut investir dans un nombre limité de quais à haut rendement et parfaitement sécurisés, plutôt que dans trop de quais mal pensés. »
  • Un équipementier : « Si demain la zone refuge de 50 cm sur quai devient obligatoire, ou plus fortement recommandée, nous devons être préparés pour la diffuser davantage auprès de nos clients. »
  • Un carrossier : « Il y a un risque que le personnel de mes clients soit emporté par une semi-remorque. Nous devons trouver un système de blocage par le chargeur et non par le chauffeur pour maintenir la semi à quai. »
  • De l’avis général : « Il faut intervenir en amont du projet, sur le maître d’ouvrage, voire sur les investisseurs. C’est là qu’on obtient de belles réussites. »

Plateforme France Boissons à Bouc Bel Air : une progression dans la sécurisation d’un bâti existant

trm photo 1Au niveau national, le distributeur France Boissons dispose de 14 plateformes logistiques et de 78 centres de distribution. « La sécurité est une préoccupation majeure pour le Groupe. Nous visons le Zéro accident sur l’ensemble des sites d’ici 2020 », affirme Franck Flechard, responsable communication. Un objectif réalisable sur les quais neufs bien conçus. Cependant, « dans un entrepôt qui a 30 ans, comme c’est le cas à Bouc Bel Air, les progrès ne peuvent se faire qu’au fil de l’eau », indique Fabrice Mauclet, directeur logistique Sud-Est.

Il y a 10 ans, il n'y avait pas de quais. « Lorsqu’il a été décidé de progresser sur la qualité de notre service client, avec le déploiement de la livraison en charriot-rolls, nous avons mis en place des quais. Un gain pour la réduction de la pénibilité et l’augmentation de la productivité. » En 2007, le choix s’est d’abord porté sur des niveleurs de quai hydrauliques à lèvre rabattable. Un problème, puisque « si j’ajoute la zone refuge de 50 cm, la lèvre ne touchera plus le plancher du camion ».

Un partenariat dans la durée

Les relations avec la Carsat Sud-Est se nouent à partir de 2010. Frédéric Jerald, technicien de prévention : « Suite à une évaluation des risques et une analyse des accidents du travail, la Carsat a pu formaliser de nombreuses recommandations qui ont ponctué la mise en conformité des quais de livraison. » Fabrice Mauclet salue ce partenariat. « Avec cette évaluation mise à jour et formalisée dans un document unique, nous pouvons progresser en nous appuyant sur une réglementation claire. »  Entre 2010 et 2012, plusieurs recommandations seront réalisées : marquage au sol, rackages, limitation des accès à l'entrepôt au personnel, réfection des sols pour empêcher les risques de glissade, étude de conception d’un local de mise en charge...

En mai 2012 débute le projet de plateforme régionale. Avec l’appui du service Étude-Conception des lieux de travail de la Carsat, les travaux aboutiront en 2014 à deux réalisations majeures : la rénovation de 3 quais télescopiques dans le bâti ancien et la création de 4 nouveaux quais télescopiques sur l’extension du bâtiment. Fabrice Mauclet : « Ces quais télescopiques ont trois lèvres, une centrale et deux mobiles sur le côté qui s’adaptent au gabarit du véhicule grâce à des capteurs. L’intérêt est de pouvoir charger plusieurs types de véhicules. » Parallèlement, le local de charge a été finalisé et une porte sectionnelle dédiée aux fourgons est en cours de finition pour séparer les flux entre poids lourds et petits transporteurs. « Le chargement/déchargement se fera latéralement par une nacelle élévatrice à hauteur du fourgon. »

Au total, 7 portes sectionnelles avec quai téléscopique sur 13 ont été installées. « La démarche est continue. » Prochaines étapes : les guides-roues et l’automatisation des portes avec asservissement à la présence du camion, en synchronisation avec la montée-rentrée du quai télescopique. « Le processus de mise en conformité des quais est engagé sur un planning étalé dans le temps, précise Frédéric Jerald. À terme, l’objectif est de parvenir à un parc homogène, avec un remplacement de tous les quais hydrauliques, ainsi qu’une action sur le maintien à quai des camions. »

En savoir plus :

Les outils de prévention

Les aides financières