Les intérimaires sont plus exposés aux risques professionnels que les salariés permanents. Bilan de l’action prioritaire menée par la Carsat Sud-Est entre 2009 et 2013 et retours d’expérience à Vitrolles, dans l’agence d’emploi Manpower et une entreprise utilisatrice Crusta’C.

La France est le deuxième marché de l’intérim après les États-Unis. Les secteurs qui recrutent le plus sont le BTP, l’industrie, la logistique, l’agro-alimentaire, et de plus en plus le tertiaire, notamment le secteur bancaire. L’intérim se démocratise dans les marchés publics. Dans certaines communes, les agences d’emploi sont les principaux pourvoyeurs d’emplois.

Travail temporaire ou CDII ?

La moitié des intérimaires détachés sont des jeunes de moins de 24 ans. Légalement, aucune durée minimale de contrat n’est à prévoir dans un contrat de travail temporaire, mais elle ne doit pas excéder 18 mois dans une même entreprise utilisatrice. Cette durée peut s’allonger jusqu'à 36 mois dans le cadre d’un Contrat à Durée Indéterminée Intérimaire.

En vigueur depuis le 6 mars 2014, le CDII autorise les agences d’emploi à embaucher des salariés « intérimaires permanents » pour les détacher dans différentes entreprises utilisatrices. Il mentionne les 3 métiers possibles du candidat, garantit une rémunération minimale selon le statut et applique les mêmes règles de droit commun que pour un CDI classique.

Le Prisme, qui regroupe les professionnels du recrutement et de l'intérim en France, s’est engagé à créer 20 000 CDII d’ici 2017.

Une forte sinistralité liée à la nature du contrat

En 2009, la fréquence des accidents du travail était 2 fois plus élevée chez les salariés intérimaires que chez les salariés permanents au niveau national, et ils étaient 2 fois plus graves. Dans le secteur du BTP, l’activité du travail temporaire en 2013 a enregistré la moitié des accidents du travail graves (2 460) et mortels (46) selon l’OPPBTP.

« Le salarié intérimaire est souvent considéré à tort comme un travailleur un peu « invisible », observe Jean-François Adam, ingénieur conseil régional adjoint à la Carsat Sud-Est. Le caractère « temporaire » de sa mission complique la mise en œuvre des actions de prévention. De plus, trois acteurs sont parties prenantes : « l’agence d’emploi qui est l’employeur de droit, l’entreprise utilisatrice qui devient l’employeur de fait à partir du moment où le contrat de mission est signé, et enfin le salarié intérimaire. »

Cette particularité nécessite un dialogue à trois voix qui n’est pas toujours suivi d’effet en matière de prévention. À cela s’ajoute le caractère souvent « urgent » des missions d’intérim (remplacement de dernière minute, surproduction…). « Pour des missions d’une semaine, certaines étapes du dispositif de prévention sont plus difficiles à mettre en œuvre. »

La Carsat Sud-Est se mobilise

Entre 2009 et 2013, l’Assurance Maladie - Risques Professionnels a mené une action prioritaire sur l’intérim au niveau national. Jean-François Adam a piloté cette action en Paca-Corse.

« 40% des agences d’emploi de la région ont été diagnostiquées par la Carsat Sud-Est entre 2009 et 2012. » Tous les préventeurs de la Carsat Sud-Est se sont mobilisés sur le terrain. 255 diagnostics approfondis ont été effectués en agences, soit 40% de l’offre régionale. Ils ont évalué les situations de travail des salariés intérimaires et les pratiques des agences d’emploi. Plus de 500 accidents du travail ont été analysés.

« 365 diagnostics ont été effectués dans les entreprises utilisatrices. » L’échantillon visité est majoritairement constitué d’entreprises de plus de 50 salariés, dans 5 secteurs d’activité : BTP, chimie, métallurgie, logistique, agroalimentaire.

  • Aux agences d’emploi, il a été recommandé d’informer le salarié intérimaire sur les travaux interdits et le droit de retrait, de le sensibiliser à la santé et sécurité au travail, de former leurs permanents pour qu’ils montent en compétence sur la prévention, de s’engager réciproquement avec les entreprises utilisatrices en matière de formation.
  • Aux entreprises utilisatrices, il a été recommandé de préciser les caractéristiques du poste de travail et de transmettre la liste de postes à risques particuliers, de prévenir l’agence d’emploi en cas de changement de poste au cours de la mission, avec une attention particulière au démarrage d’une mission d’intérim : vérification de la mise à jour des formations, désignation d’un tuteur, formation renforcée au poste de travail.

Une baisse significative de la sinistralité en Paca-Corse

Jean-François Adam tire un bilan positif de ces enquêtes-actions. « À fin 2013, on a constaté que la formation des permanents avait augmenté dans les agences d’emploi, les procédures se mettaient en place pour recueillir les caractéristiques des postes de travail, l’accueil et une formation renforcée s’amélioraient dans les entreprises utilisatrices. Par contre, l’analyse commune des accidents du travail restait un point d’amélioration. »

Au niveau régional, la fréquence des accidents du travail a baissé de façon significative et il y a eu une baisse notable du taux de gravité. « C’est très positif, commente Jean-François Adam, bien que le taux de gravité reste aujourd'hui encore supérieur à la moyenne nationale. Cela s’explique par une forte activité régionale dans les secteurs du BTP, de la logistique et de l’industrie (chimie et métallurgie). »

La Carsat Sud-Est recommande un dialogue constructif

Ces enquêtes-actions ont permis à la Direction des Risques Professionnels d’identifier 4 axes prioritaires d’amélioration :

  1. La formation des permanents à la santé et à la sécurité au travail dans les agences d’emploi (cf. Référentiel de compétencesi ci-dessous).
  2. La caractérisation des postes de travail, dès la préparation du contrat, à la fois dans les agences d’emploi et dans les entreprise utilisatrices (cf. Fiche de liaisoni).
  3. L’accueil et la formation des intérimaires dans les entreprises utilisatrices.
  4. L’analyse commune des accidents du travail des intérimaires, entre les agences d’emploi et les entreprises utilisatrices, afin d’établir un plan d’actions (cf. Fiche d’analyse des ATi).

Des outils et des guides de bonnes pratiques

n15 dossier photo 1 miniL’Assurance Maladie - Risques Professionnels a développé un certain nombre d’outils simples et pratiques à l’usage de tous les acteurs de l’intérim.

Le référentiel de compétences en santé & sécurité au travail pour les permanents des agences d’emploii (en collaboration avec Prisme), la fiche de liaisoni pour recueillir les informations utiles à l’établissement du contrat de mise à disposition, la fiche d’analyse des accidents du travaili pour établir un diagnostic commun. 4 guides de bonnes pratiquesi sont également disponibles, notamment le guide très apprécié « pour l'accueil, la formation et la surveillance médicale du travailleur intérimaire »i.

i Tous ces outils sont téléchargeables en fin d’article.

post it JFA« Un dialogue constructif est vivement recommandé entre les agences d’emploi et les entreprises utilisatrices. La fiche de liaison et la fiche d’analyse des accidents du travail doivent circuler davantage. » Jean-François ADAM, Ingénieur Conseil Régional Adjoint, Carsat Sud-Est

L’action se poursuit aujourd'hui. Sur le terrain, les préventeurs sont amenés à diffuser ces outils. Des relais sont pris avec les médecins du travail et tous les partenaires. Le suivi en santé des intérimaires est inscrit dans les Contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens des services de santé au travail en PACA-Corse (CPOM).

L’OPPBTP propose des formations pour la prise en compte des intérimaires sur les chantiers. Des engagements ont été pris avec des donneurs d’ordres, et des enseignes nationales d’agences d’emploi se sont engagées au niveau régional.

Manpower signe des engagements avec la Carsat Sud-Est

n15 dossier photo 2 miniDepuis 1997, Jean-Luc Maubert assure la sécurité du réseau Manpower dans la région Sud (de La Rochelle à Menton). Son rôle ? « Accompagner les équipes internes pour présenter la politique Sécurité du groupe ». Et aussi, « accompagner les gros clients pour évaluer sur site un diagnostic partagé des risques professionnels ».

Une réalité humaine et économique

« La sécurité au travail est fondamentale pour les agences d’emploi comme pour nos clients. Ils sont de plus en plus sensibilisés au sujet. C’est une marque de différenciation par rapport à nos concurrents. » En tant qu’employeur juridique, l’agence d’emploi prend en charge l’intégralité des cotisations AT/MP, et les deux tiers en cas d’accident grave. « Ces charges patronales sont variables, à la hausse comme à la baisse. Dans notre métier hyper concurrentiel, le coût de revient ne doit pas être plus élevé que celui de nos concurrents. La sauvegarde des emplois est en jeu, celle des permanents et des intérimaires. »

Manpower en heures travaillées

Manpower France : 3 000 permanents, 145 millions d’heures travaillées en 2015, soit environ 85 000 salariés équivalent temps plein.

Agence Vitrolles Industrie : 9 permanents, 420 000 heures travaillées en 2015 (dont 160 000 dans l’aéronautique), soit environ 150 salariés intérimaires équivalent temps plein.

Baisse de la sinistralité au global, hausse dans le Transport-Logistique

Dans la région Sud, Manpower affiche des taux de fréquence et de gravité en baisse constante. Entre 2014 et 2015, l’indice de fréquence (nombre d’accidents du travail annuel pour 1 000 salariés) a chuté de 5 points, de 49% à 44%.

Jean-Luc Maubert explique cette baisse par « l’évolution de la jurisprudence sur la sécurité, la pression des Carsat vis-à-vis des agences d’emploi et des entreprises utilisatrices, et bien sûr les actions portées par les agences d’emploi et les entreprises utilisatrices. La sensibilité des salariés y participe aussi. »

Le secteur Logistique a explosé en heures travaillées, mais aussi en accidents du travail. « En 2015, les accidents graves sont très liés aux transpalettes électriques, heurts de chariot. Il y a beaucoup de fractures. »

La démarche de prévention chez Manpower

En 2013, l’enseigne s’est engagée au niveau régional avec la Carsat Sud-Est, notamment pour observer un certain volume de formation de ses permanents et analyser les accidents du travail de façon plus systématique. Cette démarche repose sur :

  1. La formation des permanents : « depuis 2009, nous avons formé deux personnes par agence : le manager et un chargé de recrutement. Nous avons bâti un module de formation « Renforcer ses pratiques en matière de santé & sécurité au travail » sur la base du référentiel de compétences édité par la branche AT/MP et le Prisme. Notre module suit l’évolution de la réglementation. »
  2. La caractérisation des postes de travail. « Nous avons mis en avant la fiche de liaison, en priorité pour les premiers clients. Nous essayons de récupérer formellement la liste des postes à risques particuliers et ceux qui imposent une surveillance médicale renforcée (SMR) par le médecin du travail de l’entreprise utilisatrice. »
  3. Le suivi de l'intérimaire : « Nous nous informons sur l’accueil et l’intégration de l’intérimaire  à l’aide d’un questionnaire en 10 items. Des visites d’observation en entreprise sont organisées, essentiellement chez les gros clients et sur les postes à forte sinistralité. Le port des EPI reste une problématique. Le retour d’information du salarié a lieu essentiellement dans les entreprises de taille importante et structurées, en capacité de mettre en œuvre un plan d’actions. Il faut que ce soit efficace. »
  4. L’analyse des accidents du travail avec arrêt : « Ce n’est pas appliqué partout. La Direction régionale Sud de Manpower va demander aux agences une analyse plus systématique. »

« L’objectif est de rendre cette démarche pérenne, en la déclinant au quotidien tout au long de l’année. Globalement, nous serons amenés à mieux informer le salarié intérimaire, à la fois sur la nature de la prestation attendue, les conditions de travail, la formation par l’entreprise utilisatrice, et le cas échéant, l’analyse des accidents du travail en vue d’un plan d’actions. Certains CDII recevront une formation SST (Sauveteur Secouriste du Travail). Nos clients y sont sensibles. C’est une valeur ajoutée en terme d’employabilité. »

Retour d’expérience : Serge Garcia, directeur de l’agence Manpower à Vitrolles

« Il y a des distorsions de culture et d’appropriation de la prévention. Nous veillons à la mise en place des livrets d’accueil, aux messages de prévention apportés à chaque nouveau détachement, et nous communiquons à travers nos salariés intérimaires : c’est un travail qu’il faut répéter sans cesse.

Pour caractériser les postes, nous avons besoin du regard de l’entreprise utilisatrice sur ses propres risques et sur les moyens de prévention mis en œuvre. Les visites d’entreprise ont lieu au moment du démarrage avec un nouveau client dont on sait qu’il va devenir pérenne, ou suite à des alertes d’intérimaires sur le terrain.

Parfois, l’accident du travail est éloigné du poste ou des tâches. En particulier dans le secteur Logistique où l’utilisation du smartphone sur le lieu de travail génère beaucoup d’accidents liés à des erreurs d’inattention. Certains clients essaient d’interdire le téléphone portable.

À terme, nous repérons nos clients accidentogènes en vue de récolter les données factuelles et d’essayer de mener avec eux un plan d’actions adapté. C’est un dispositif d’amélioration continue. »

Crusta’C : « Nous posons nos exigences aux intérimaires » Laurent Gouye, directeur du site de Vitrolles.

Crusta’C est spécialisé dans la cuissson et le conditionnement des crustacés. Environ 30 salariés permanents travaillent sur site. Tout au long de l’année, de 10 à 50 intérimaires effectuent des missions de remplacement et pallient les pics d’activité, principalement en décembre, période de saisonnalité durant laquelle la production est multipliée par 4. Les employés font alors les 3x8.

Crusta’C fait appel à plusieurs agences d’emploi, selon le degré qualification des postes. « Cela permet d’augmenter nos chances de satisfaction par rapport à nos attentes, précise Laurent Gouye, directeur du site de Vitrolles. On peut aussi faire appel à l’intérim à des fins de recrutement. »

PAROLE DU PROFESSIONNEL : « La démarche de prévention est la même pour les permanents et les intérimaires. » Carine Caloin, assistante HSE, Crusta’C

Stéphane Florence, contrôleur de sécurité à la Carsat Sud-Est, suit le site de Vitrolles depuis plusieurs années. « Pour répondre à nos exigences, l’établissement a créé un poste Hygiène, Sécurité, Environnement (HSE) en 2011. » Mme Caloin est montée en compétence en suivant régulièrement des formations : analyse des accidents du travail, évaluation des risques professionnels, compétences de base en prévention, évaluation des troubles musculo-squelettiques, et bientôt des risques psychosociaux (obligatoire dans le Document Unique).

Sa démarche de prévention repose sur :

  • La remise du livret d’accueil : « C’est le même pour les permanents et les intérimaires. Depuis fin 2015, nous le faisons distribuer par les agences d’emploi. »
  • La liste des postes à risques particuliers transmise aux agences d’emploi. « Les situations à risques sont définies en fonction des postes de travail et associées à des mesures de prévention individuelles ou collectives. »
  • L’accueil des intérimaires. Au moment de la prise de poste, une visite de l’usine est organisée, ainsi qu’une réunion de sensibilisation à l’hygiène et à la sécurité, suivie d’une évaluation par QCM. Cette année en décembre, période de forte activité, les intérimaires ont été accueillis en amont de leur prise de poste. « L’objectif en 2016 est de pérenniser cette anticipation sur tous nos sites. Ce n’est pas toujours facile, reconnaît Carine Caloin, compte tenu des prises de poste en urgence. C’est pourquoi « nous essayons de constituer un vivier d’intérimaires avec les agences d’emplois, pour qu’ils soient appelés en priorité, ajoute Laurent Gouye. Ils connaissent le travail et ont déjà reçu une formation à la prévention. »
  • La fiche de liaison est transmise aux agences d’emploi sur le site de Boulogne-sur-Mer. « En 2016, l’objectif est de la déployer sur nos deux autres sites, Isle-jourdain et Vitrolles, en la proposant aux agences d’emploi. »
  • L’analyse des accidents du travail. « Élaborée en lien avec les membres du CHSCT, elle concerne autant les permanents que les intérimaires. Ce rapport fait ensuite l’objet d'un échange avec l’agence d’emploi. Le plan d’actions qui en découle peut concerner la réfection de sols en résine antidérapants ou le port des EPI. »
  • Un bilan global est réalisé chaque année avec les agences d’emploi.

Aucun accident du travail en décembre

Le site de Vitrolles n’a enregistré aucun accident du travail en décembre 2015 sur l’ensemble du personnel, permanents et intérimaires. « C’est le résultat d’une bonne organisation », indique Laurent Gouye.

Serge Garcia, le directeur de l’agence Manpower Vitrolles, s’en félicite : « C’est très valorisant pour nous. Le partenariat est assez fort. De manière spontanée, Crusta’C nous a fait suivre un document de synthèse qui reprend la liste des postes à risques particuliers et les mesures de prévention associées. Des actions conjointes ont été mises en place : visite de l’usine et des postes de travail par les intérimaires en amont de leur prise de poste, remise d’un livret d’accueil spécifique, test chez Manpower pour les personnels détachés en décembre… Cette année, j’ai confié la saisonnalité à un seul recruteur dans l’agence. L’organisation fait partie de l’efficacité en matière la prévention. »

Crusta’C en chiffres

Création : 1993. Secteur : production et transformation de crustacés.

3 sites : Isle-jourdain (32), Boulogne-sur-Mer (62), Vitrolles (13).

Site de Vitrolles (13) : 30 salariés permanents, entre 10 et 50 intérimaires selon saisonnalité.

En savoir plus :

Les outils :

  • Référentiel de compétences en santé & sécurité au travail pour les agences d’emploi. Validé par la branche AT/MP et le Prisme, ce référentiel a conduit à habiliter les organismes de formation au niveau national. Les agences d’emploi peuvent s’y référer pour demander des formations de leurs permanents.
  • La fiche de liaison : structurée en trois parties, elle reprend tous les éléments utiles à l’établissement du contrat de mise à disposition : caractéristiques de la mission et du poste de travail, risques encourus et mesures de prévention : EPI, habilitations, surveillance médicale renforcée, etc. Toute la difficulté pour l’agence d’emploi est de recueillir ces informations auprès de l’entreprise utilisatrice.
  • La fiche d’analyse des accidents du travail : recueil des faits, méthodologie d’analyse,  identification des causes, proposition d’actions et structuration,… Ce modèle est à disposition des agences d’emploi et des entreprises utilisatrices pour favoriser une analyse commune et s’engager sur un plan d’actions partagé.

Les guides :