Chaque année, des salariés du BTP décèdent suite à l’ensevelissement lors de réalisation de travaux en tranchée. De nombreux facteurs peuvent provoquer un éboulement : la taille de la tranchée, la nature du terrain, les travaux concomitants, les intempéries, l’absence de stabilisation des terres… Cet accident mortel survenu début 2016 en région PACA nous rappelle malheureusement une fois de plus que le travail en tranchée nécessite une évaluation des risques approfondie, une préparation rigoureuse des travaux à réaliser et la mise en œuvre de moyens techniques adaptés.

Les faits

n18 apv photo2Un chantier de construction d’un ensemble immobilier en région PACA. Depuis six semaines, une entreprise de travaux publics réalise le dévoiement d’un réseau d’eau pluviale composé d’une centaine de mètres de tuyaux béton de diamètre 800 et de 5 regards à poser à une profondeur entre 2,80 m et 4 m.

L’emprise des travaux est limitée par les ouvrages existants et des bâtiments en cours de construction. L’équipe est composée de trois personnes : un conducteur de pelle, un chauffeur de camion/manœuvre de chantier et un ouvrier spécialisé (responsable des travaux).

Au moment des faits, une première partie de tronçon a déjà été réalisé. L’entreprise a ensuite creusé une tranchée, d’environ 4 mètres de profondeur sur 1,50 mètre de largeur, pour positionner un regard à l’intersection des tronçons 1 et 2. La nature du sol est un remblai non cohérent. Il n'y a pas de protection technique mise en œuvre dans la tranchée contre les risques d’ensevelissement et de chute.

Sur la photo prise quelques jours après les faits, on constate que le bâtiment en construction (à droite) est à proximité immédiate de la tranchée. Les talus de la tranchée sont verticaux, les matériaux excavés ont été stockés en tête de tranchée et les engins de chantier stationnent en rive de tranchée.

Au moment de l’accident, le salarié, responsable des travaux, est au fond de la tranchée, le conducteur de pelle attendait un signe de sa part pour positionner le regard dans la tranchée, sur le fond de forme préparée. Ce regard est élingué avec des chaînes à proximité de la tranchée. Le chauffeur/manœuvre est occupé, dos à la tranchée. Soudain la paroi de la fouille s’effondre. La victime, un jeune homme âgé de 24 ans, est entièrement ensevelie. Il décède sous les éboulis. Il avait 18 mois d’ancienneté dans l’entreprise. L’élément déclenchant de l’effondrement n’est pas clairement identifié.

L'analyse

Anne-Marie Passoni, contrôleur de sécurité à la Carsat Sud-Est, est intervenue sur les lieux après l’accident. Son rapport d’enquête établit trois manquements majeurs :

1 - L’absence de blindage de protection de la tranchée où travaillait la victime. « Un blindage était prévu dans le devis des travaux à réaliser. Un panneau de blindage était stocké à proximité de la tranchée au moment des faits, mais il était inapproprié en raison de ses dimensions, car trop étroit pour le passage du tuyau et du regard, et sa hauteur était inférieure à celle de la tranchée. »

2 - Un défaut de préparation et d’organisation du chantier. Ces travaux n’ont pas fait l’objet d’une évaluation des risques ni d’un plan de prévention formalisé.

  • La nature du terrain, visiblement incohérente, les dimensions de la fouille, l’environnement des travaux concomitants et antérieurs, n’ont pas été pris en compte. « Le sol avait été remué trois fois, une première fois pour les fondations du bâtiment, une seconde fois pour une rampe d’accès récemment construite à l’extrémité et une troisième fois pour un mur de clôture également récent à gauche de la tranchée. »
  • Il n'y a pas eu de plan de blindage et les moyens matériels sur place ne permettaient pas de réaliser une protection adaptée. « Aucun mode opératoire n’a été formalisé et approuvé par l’encadrement de l’entreprise.
  • L’équipe était restreinte pour la réalisation des travaux, et le responsable des travaux sur chantier participe aux opérations en fond de fouille.
  • L’emprise du chantier compliquait l’intervention, car sa largeur dans cette phase de travaux se situait entre 7 et 8 m. de large, et l’équipe avait fait le choix de réaliser le chantier du tronçon 3 vers 1. Cela a eu pour effet de confiner la pelle en bout de tranchée, l’empêchant de charger un camion pour évacuer les déblais qui sont restés en rive immédiate du bord de fouille. « Ceux-ci constituent une surcharge, tout comme la pelle sur chenilles qui travaille à proximité immédiate de la tranchée, ainsi qu’un bob cat et un compacteur télécommandé qui étaient stationnés à l’autre extrémité de la tranchée. »

3 - Une sous-estimation par les différents acteurs présents sur le chantier (encadrement/conducteur de pelle/chauffeur de camion) des risques engendrés par les travaux et auxquels les salariés sont exposés à l’avancement du chantier.

am passoni« Si cette tranchée avait été sécurisée contre les éboulements par un blindage de protection par exemple, ce travailleur serait probablement encore en vie aujourd'hui. » Anne-Marie Passoni, contrôleur de sécurité, Carsat Sud-Est

Les préconisations

Suite à ce rapport d’enquête, la Carsat Sud-Est a adressé à l’entreprise de la victime la mise en œuvre de plusieurs mesures de prévention.

Tout d’abord une mesure conservatoire est à effet immédiat interdisant tout accès dans la tranchée tant que celle-ci n’est pas sécurisée conformément aux préconisations issues d’une étude géotechnique à réaliser.

Puis il a été demandé :

  • de faire réaliser un diagnostic géotechnique (mission G5) par un cabinet d’expertise géotechnique conformément à la norme NFP 94-500 de novembre 2013 (lien en fin d’article). Cette étude devant prendre en compte l’ensemble des contraintes de la zone d’influence géotechnique (zone de circulation des engins, réseaux enterrés, etc.).
  • d’établir un plan de blindage sur la base de l’expertise technique, pour l’ensemble du chantier restant à réaliser (zones de pose des tuyaux linéaires et zones de pose des regards), et d’établir un mode opératoire pour maîtriser les risques liés à la pose, dépose et stockage du matériel de blindage.
  • d’organiser l’évacuation des déblais, de façon à ne pas créer de surcharge en bord de fouille et d’organiser le phasage des travaux pour limiter les risques liés à la présence et aux déplacements d’engins (pelle, opérations de remblaiement, compactage, approvisionnement…).
  • d’aménager des accès en sécurité en fond de fouille, lorsque celle-ci sera protégée, de maintenir une zone dédiée à la circulation des salariés aux abords de la tranchée et d’installer une protection collective contre le risque de chute dans la tranchée.
  • de délivrer une formation à la prévention des risques professionnels à l’ensemble du personnel réalisant des fouilles en tranchées (opérateur, chef d’équipe, chef de chantier). Objectif : le personnel doit savoir identifier les risques lors de travaux de fouilles en tranchées, connaître et proposer des mesures de prévention s’opposant aux risques d’ensevelissement. (formation devant être délivrée par un organisme compétent en la matière.)

Point réglementation

« Les fouilles en tranchée de plus de 1,30 mètre de profondeur et d'une largeur égale ou inférieure aux deux tiers de la profondeur doivent, lorsque leurs parois sont verticales ou sensiblement verticales, être blindées, étrésillonnées ou étayées. » Dans les autres cas, « les parois des fouilles en tranchée, ainsi que les parois des fouilles en excavation ou en butte doivent être aménagées, eu égard à la nature et à l'état des terres, de façon à prévenir les éboulements. » Décret n°2008-244 du 7 mars 2008 - art. 9 (V)

En savoir plus :

Norme NFP 94-500, 2013 : Missions d'ingénierie géotechnique - Classification et spécifications.

Recommandation R255, CNAMTS, 1985 : Protection du personnel travaillant dans les tranchées étroites.

Décret du 6 mai 1995 abrogé par décret du 7 mars 2008 : Titre 4 : travaux de terrassement à ciel ouvert.

Fouilles en tranchées : blindage ou talutage ? OPPBTP, 2015.