En 2015, un accident mortel est survenu dans un bâtiment public lors d’une opération de changement de vitrage d’une baie extérieure. La victime, en essai professionnel, était âgée de 26 ans. Décryptage.

LES FAITS

Un bâtiment public construit dans les années 70 passe un marché public pour changer les vitrages. L’entreprise retenue pour réaliser les travaux est spécialisée dans la fabrication d’ossatures aluminium/ pvc et la pose de vitrages (effectifs : un gérant et un salarié). Elle a déjà changé deux vitrages Securit de nouvelle génération. Le troisième en cours de changement est une baie vitrée coulissante pesant environ 110 kilos et mesurant 3 m. de long sur 2,5 m. de haut. Elle date de la construction de l’établissement. Le verre n’est pas Securit, il présente des fissures dans un coin.

Les services techniques de la commune, qui est le Maître d’Ouvrage (MOA), ont d’ailleurs bloqué la baie et un scotch a été posé sur les fissures. Afin d’éloigner les salariés et permettre une manutention en toute sécurité, l’usage d’un moyen mécanique a été déterminé au cours d’une visite préalable avant travaux, en présence du maître d’ouvrage, du fournisseur de la vitre de remplacement et de l’entreprise.

Initialement, le devis qui a été établi dans la remise de l’offre prévoyait l’usage d’une mini-grue équipée d’un palonnier à ventouses. Sur le chantier, quatre poseurs sont présents : le gérant, le salarié et deux personnes non salariées en essai professionnel. Le vitrage endommagé est tenu à l’aide de ventouses manuelles et l’opération de dépose est effectuée par traction horizontale.

Lors de la tentative de dépose, celui se brise. L’un des deux opérateurs en essai professionnel reçoit un éclat de verre dans le cou le touchant à la carotide. Il décède dans les minutes qui suivent. Le personnel du bâtiment public, présent au moment du drame, prévient les secours. Une cellule de soutien psychologique est mise en place par le MOA.

L'ANALYSE

Le lendemain, un contrôleur de sécurité de la Carsat Sud-Est s’est rendu sur les lieux pour mener l’enquête, en collaboration avec un conseiller prévention de l’OPPBTP. Le diagnostic relèvera divers manquements au mode opératoire d’intervention tel qu’il était prévu, ainsi qu’à la procédure d’intervention en elle-même.

Tout d’abord, la nature du vitrage : un verre classique de grande dimension, sans traitement ni feuilletage. Potentiellement, il présente un risque d’éclat de verre. Ensuite, l’accessibilité de la zone d’intervention : située en rez-de-chaussée, elle est dégagée et très accessible. Il y a de la place pour introduire un engin mécanique.

Le constat sur le déroulement de l’opération relève trois anomalies majeures :

  • Aucune disposition particulière n’a été prévue quant à l’apposition d’un film plastique adhésif pour conserver l’intégrité du vitrage lors de l’opération.
  • Les parcloses destinées à maintenir le vitrage sur l’ouvrant ont été partiellement déposées. L’une a été décollée, mais pas la seconde. Les poseurs ont dû vraisemblablement tirer fortement sur le vitrage pour le faire basculer.
  • L’utilisation d’une mini-grue à chenille, avec 8 mètres de bras, équipée d’un palonnier à ventouses n’a pas été mise en œuvre par l’entreprise.

€ Le coût d’un palonnier à ventouses mobile, démontable et manuportable

Coût de location : 120 euros/heure (forfait 800 euros/jour)
Coût d’acquisition : 5 000 euros

Ce qu’il aurait fallu faire

Techniquement, une opération de changement de vitrage doit suivre un déroulement en 5 phases :

  1. Apposer sur toute la surface du vitrage un film plastique adhésif sur les deux faces, avec des ajourages au droit des zones d’appui des ventouses sur celle du côté où s’effectue l’opération de dépose. Ce film contribue à maîtriser la chute éventuelle de morceaux de verre et leur pouvoir coupant.
  2. Ventouser le vitrage à l’aide d’un manipulateur de chantier autonome ou, lorsque l’accessibilité à la zone de travail le permet, à l’aide d’un chariot autonome de pose de vitrage. Sur le chantier, la présence de deux salariés suffit.
  3. Déposer l’ensemble des parcloses qui emprisonnent le vitrage sur l’ouvrant. Le vitrage préalablement ventousé comme préconisé en étape 2 est maintenu en position sans présence immédiatement au droit de la vitre de l’opérateur.
  4. À l’aide du manipulateur ou chariot autonome, déposer le vitrage détérioré.
  5. Poser le nouveau vitrage à l’aide du manipulateur ou du chariot.  Le saisir en le ventousant, de façon à le présenter sur l’ouvrant sur lequel il sera solidarisé en remettant les parcloses, puis dé-ventouser le manipulateur.

post it dbottreau« Les opérations de remplacement de vitrage nécessitent une bonne préparation de chantier et le respect de la procédure qui a été définie en amont. » David Bottreau, Contrôleur de sécurité, Carsat Sud-Est

Les préconisations

Suite à ce diagnostic, la Carsat Sud-Est a adressé deux courriers, l’un à l’entreprise, l’autre au MOA.

À l’entreprise, il a été demandé :

  • De définir un mode opératoire d’intervention prenant en compte la nature et la solidité des vitrages (méthode, moyen, milieu, main d’œuvre et matériau).
  • De prévoir l’utilisation de moyens mécaniques lorsque cela est nécessaire afin de limiter les manutentions manuelles et d’éloigner les collaborateurs de la zone à risque.
  • De filmer au préalable les vitrages afin de limiter le risque de casse.

L’entreprise a répondu favorablement à toutes les demandes pour toute intervention sur chantier. Cependant, l’entreprise a abandonné le marché, et à ce jour le chantier n’a pas repris.

La DIRECCTE a dressé un procès-verbal à l’entreprise pour manquement à son obligation d’hygiène, de sécurité au travail et défaut de contrat de travail. Le dossier est en cours d’instruction.

Au MOA, deux mesures de prévention ont été recommandées :

  • Prévoir un audit complet de l’ensemble des vitrages présents dans le bâtiment public et en assurer la protection si nécessaire. Le MOA est tenu d’adresser à la Carsat Sud-Est le plan d’audit et les mesures de prévention mises en place.
  • Demander systématiquement un mode opératoire d’intervention aux entreprises intervenantes en prenant en compte le moyen, le milieu, la méthode, le matériel et les matériaux. Avant la reprise des travaux, le MOA est tenu de communiquer à la Carsat Sud-Est le mode opératoire défini entre le MOA et l’entreprise sélectionnée. Le MOA a la possibilité de s’appuyer sur l’expertise de l’OPPBTP.

Le MOA s’est engagé à présenter à la Carsat Sud-Est un mode opératoire avant la reprise des travaux. D’autre part, il s’est engagé à faire un audit complet de l’ensemble des vitrages en place dans le bâtiment public et à poser un film de sécurité sur les vitrages ancienne génération, dans l’attente de leur remplacement.

En outre, les vitrages étant posés sur des structures métalliques et donc susceptibles de se déformer sous l’effet de la chaleur ou du froid, le MOA a décidé de fractionner les vitrages en quatre par l’ajout de croisillons servant de joints de dilatation sur les nouvelles baies.

Point réglementation

L’essai professionnel permet à l'employeur d’apprécier la qualification professionnelle et l’aptitude technique du postulant. Il doit être distingué d'une période de travail, car l’essai n'est pas effectué dans des conditions normales d'emploi.

Le conseil + du préventeur : Dans le cadre de l’amélioration des conditions de travail pour les salariés, la Carsat Sud-Est peut apporter un soutien technique à la manutention et une aide financière dans le cadre d’un contrat de prévention pour les entreprises de moins de 200 salariés.

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